Le pouvoir liquéfié
2005 et le début 2006 auront été marqués par tant d'événements politiques internes à la France qu'on se demande encore comment le pouvoir et la république y ont survécu, et surtout dans quel état. Le NON à la constitution européene, la crise des banlieues (qu'on a d'ailleurs complètement oubliée aujourd'hui), le contrat première embauche (dont il était évident que la rédaction avait été bâclée par des incompétents) et pour finir l'affaire Clearstream, la cerise sur le gâteau, le coup de boutoir final pour décrédibiliser le pouvoir étatique, ou ce qu'il en restait. La France et sa monarchie présidentielle de la cinquième république ont vécu. Pourtant, il y a un an, personne n'aurait remis en cause notre constitution. Mais aujourd'hui, dans un bel ensemble touchant, majorité comme opposition clament, à qui veut l'entendre, qu'elle est "à bout de souffle" (clin d'oeil au film de Godard ?). La constitution de 1958 qui faisait presque l'unanimité jusqu'en 2005 (soit pendant près de cinquante années) devient brutalement bonne à jeter aux orties. Etrange comportement de ce monde politique qui préfère accuser les textes plutôt que se remettre en question. Car il est bien là le problème : celui qui détient le pouvoir fera tout pour ne jamais l'abandonner. Ce sont aux autres de le pousser vers la sortie. Aujourd'hui, on est "homme politique" jusqu'à sa mort, le plus souvent. A l'âge auquel dans une entreprise privée on est relégué sur une voie de garage depuis longtemps (que de préretraites pour ceux dont on veut se débarrasser), la politique fonctionne, elle, en sens inverse. Les jeunes adhérents aux partis s'en plaignent assez. Aucune chance de carrière avant 40 ans au sein des partis, sauf dans les groupes de jeunes qui n'ont jamais d'autre rôle que celui de susciter la sympathie (les jeunes, on ne lutte pas contre, on en sourit, impétuosité de la jeunesse, erreurs de jeunesse, manque d'expérience, etc, etc...). Il faudrait maintenant plutôt parler de la compétence des "vieux", ceux qui se repassent le pouvoir depuis 25 ans (pour dire l'expérience qu'ils ont accumulée), toujours présents malgré les mises en examen, les corruptions, les échecs, les bérésinas électorales (dont chaque fois on se jure pourtant de tirer les leçons), malgré le Front National au second tour (en 2002): la catastrophe démocratique.
Il faut le dire clairement, ce même Front National avec le même J.M. Lepen a toutes les chances en 2007 de réitérer son exploit de 2002, voire de faire mieux tellement le monde politique classique est entêté, incapable de changement (pourtant le maître mot de toutes les campagnes électorales, de droite comme de gauche depuis 1981). Quoi de plus favorable à son épanouissement ? Rejet des institutions (le CPE avait été voté par la chambre), des représentants du pouvoir (tous pourris, corrompus ou occupés par leur seule ambition personnelle), de l'Etat (générateur d'inégalités, de chômage, et personne pour stopper l'hémorragie). Que reste-t-il comme référence collective dans cette France de début de siècle ? Le sport, à la condition de gagner... On a appelé ça sérieusement, en politologie, l'effet Zidane, tellement la portée de cette victoire de 1998 fut conséquente. Pour la première fois, depuis des décennies, la France se trouvait un point commun, les émigrés se sentaient représentés, le pays entier suivait, se réjouissait, vibrait d'un même accord pour le même événement. Il fallait que ce soit le football, dérisoire divertissement ou la victoire est très souvent aléatoire (c'est ce qui fait son succés : la surprise toujours possible). La seule valeur commune des Français de cette fin de XXème siècle : un jeu de ballon. N'y a-t-il pas alors des raisons pour s'interroger sur les NON aux referendums, sur l'image de la politique et des politiciens, sur les dérives que le pouvoir entraîne quand, comme dans la cinquième république (et en ceci elle est condamnable mais bien tardivement condamnée par ceux qui en ont profité outrageusement si longtemps), les contre pouvoirs ne jouent pas leur rôle? Quand le Président de la République recueille 19,88% des suffrages exprimés (peut-être moins de 15% pour l'ensemble de la population), à quelle légitimité peut-il prétendre ? Si le message des électeurs à chaque élection est clair, il dit ceci : ce sont les hommes politiques qui sont à bout de souffle (encore plus que la constitution), incapables d'imaginer autre chose, incapables de résoudre les problèmes qui, eux, ne changent pas (chômage, intégration, disparité honteuse des revenus). Ce sont ces hommes et ces femmes-là qui doivent laisser leur place, ceux qui se sont ébaudis dans le pouvoir depuis des décennies en nous jouant le piètre jeu de l'alternance et de la cohabitation sans jamais rien inventer ni rien résoudre. Personne ne croit plus en eux. Le FN le sait bien, lui aussi : plus les vieux éléphants des grands partis perdureront, plus les électeurs s'en détourneront et plus le nombre d'électeurs FN augmentera. Il y va même de l'intérêt national que la classe politique se renouvelle, une question de survie pour notre démocratie.
Il faut enfin savoir que les différences de revenus n'ont fait qu'augmenter en France (comme dans le monde d'ailleurs) depuis 25 ans, sans pour autant que les pauvres soient plus pauvres, mais en revanche faisant que les riches sont bien de plus en plus riches, les chômeurs de plus en plus nombreux, les ghettos de plus en plus lointains et de plus en plus frappés d'ostracisme. Les avertissements donnés à chaque élection ne sont pas entendus. On ne pourra pas éternellement diaboliser l'extrème droite lorsqu'elle sera devenue le premier parti de France (si ce n'est pas déjà fait). Jusqu'où faudra-t-il arriver pour que ce monde politique vieilli et usé jusqu'à la trame se remette en cause ?
La solution pourrait tenir en un mot si souvent prononcé et jamais appliqué : la répartition. Un vieux barbu avait lancé l'idée au XIXème sièle (déjà). On ne doit plus s'en souvenir : de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins. Seulement, dès qu'on prend le pouvoir dans un Etat français où tout favorise celui qui le détient où les contre pouvoirs se trouvent baillonnés, où le peuple n'est plus représenté, on en profite, on joue sa carte personnelle, on s'accroche aux privilèges et on se fout pas mal de la pauvreté, des laissers pour compte, des ségrégations raciales, en un mot de la collectivité.
Pour faire passer ce discours indigeste, quelques images de l'île de Madère et sa végétation luxuriante.
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