L'impossible image du Président
Quand l’hebdomadaire Marianne, qui nous avait habitués à mieux, titre : Le vrai Sarkozy, ce que les grands médias ne veulent pas ou n’osent pas dévoiler, une couverture digne des pires tabloïds anglais ou italiens qui resitue sans ambiguïté l’hebdomadaire au niveau de Closer, il tire à 500 000 exemplaires et voit, globalement pour 2007, sa position anti-Sarkozy gonfler de 34,9 % ses chiffres de vente. L’Express interviewe le 13 février Carla Bruni et imprime 600 000 exemplaires. En 2007, 252 couvertures ont été consacrées à « l’univers Sarkozy ». On parle dans la presse d’un « effet Sarkozy » qui a véritablement dopé les ventes d’un secteur morose. Parallèlement, la cote des satisfaits de l’action de Président est passé de 65 % à 37%, celle des mécontents de 31% à 61% soit pratiquement le double en 9 mois (TNS- Sofres). De surcroît, on ne peut pas prétendre que Nicolas Sarkozy soit un inconnu du grand public, que l’électorat ait été surpris par un homme qui cachait son jeu. Souvenons-nous, le Karcher, la trahison balladurienne, ses déclarations de Ministre de l’Intérieur. Alors comment expliquer un dérapage si rapide et dévastateur pour son image ? Comment expliquer qu’en l’espace de neuf mois, près de la moitié de ceux qui ont voté pour lui ne le ferait plus aujourd’hui ?
D’abord il est temps de réviser l’opinion qui persiste à penser que les grands groupes de médias sont à la solde du pouvoir en place. L’expérience montre que la presse, tout en ayant sa part de responsabilité sur les choix du public, suit les courbes des sondages. Elle navigue là où elle peut faire du chiffre et ne craint pas les basses eaux. Ce n’est pas un hasard si ceux qui présentaient du Président une image positive au printemps dernier le flagellent aujourd’hui de leurs articles assassins. Toutes les rédactions savent bien qu’un média signerait son arrêt de mort en s’inféodant à un courant politique. C’est un des nouveaux travers des médias que celui de caresser systématiquement l’opinion dans le sens du poil, quitte à laisser les minorités de côté.
Ensuite, le consensus qui existait entre le pouvoir et les journalistes n’a plus cours. Toute la presse connaissait la double vie de Mitterrand, les maîtresses de Chirac et les écarts de nombreux ministres… mais toute la grande famille médiatique se taisait pour être admise dans la cour présidentielle et gare à celui qui lâcherait le morceau. Le SMS à Cécilia tant commenté, révélé par Le Nouvel Observateur, apporte la preuve d’un autre nouveau penchant des médias, bien plus dégradant celui-là, et montre bien que le consensus a vécu : il n’y a plus aucune règle pour ternir une image et tous les coups sont permis pourvu que le public en redemande. La presse y perd en respectabilité mais y gagne en audience et c’est là toute la perversion du système auquel les politiques ont adhéré en mettant en scène leur vie privée.
Le proche passé (Jospin, Balladur) a montré qu’un prétendant ne pouvait se passer d’une campagne de proximité. Etre élu revient aujourd’hui à étaler son intimité en misant sur le principe qu’un électorat choisira un candidat du même monde que lui, un représentant conforme à son image. Le bruit court dans les partis qu’on ne peut plus dépersonnaliser la fonction, entendons par là qu’on ne peut plus maintenir une distance entre les hommes en vue et leurs électeurs.
On a remarqué également que toute vérité n’était pas bonne à dire : reconnaître, comme l’a fait Lionel Jospin, que le Président ne peut pas tout dans une société mondialisée, européanisée et privatisée est très mal perçu. Constater, comme François Fillon, que les caisses sont vides quand on a tant promis est vécu comme une trahison. Il faut donc, pour être élu, que le candidat soit en même temps humain et donc faillible mais qu’il détienne des pouvoirs surnaturels. On entre dans le cycle infernal des promesses intenables parce que, compte tenu du pouvoir déclinant des politiques et des aspirations montantes de l’électorat, les miracles se feront encore attendre. Nicolas Sarkozy a poussé le processus à son extrême en misant sur la vérité et la confiance (les deux maîtres mots de sa campagne). Pourtant encore aujourd’hui, tout le monde admet, y compris ses adversaires, qu’il a mené une très habile stratégie électorale, mais les électeurs se réveillent à la fin de l’hiver avec la gueule de bois. Le rêve prend fin et l’image présidentielle du dynamisme entreprenant s’efface brutalement.
Il est commun de dire que trop d’images tuent l’image. C’est le problème de l’érotisme face à la pornographie qui introduit la notion d’obscénité. La séduction doit préserver des pans de mystère pour perdurer. On a tout montré de Sarkozy. Il en a joué pour se faire élire mais ces armes se retournent maintenant contre lui. La photo de Paris Match du bourrelet retouché est significative : le public veut des héros mais dans le réel. Pas question d’arranger la vérité, de la travestir. A partir de l’instant où l’on exige une transparence totale de celui qu’on a élu (et s’il ne la donne pas la presse s’en charge pour lui) il faudra assumer d’amères déceptions. Plus inquiétant encore : personne ne pourra à l’avenir jouer le rôle du héros réaliste très longtemps. Nous dirigeons-nous vers des élus Kleenex à jeter sans remords après un court usage ? Ou encore à des pourvoyeurs de rêves qu’on abandonnera dès qu’ils se frotteront à la réalité ? Si cela devait être le cas, le bien fondé d’un système présidentiel au suffrage universel serait mis à mal.
Notre système de représentation est tel qu’il confère à un personnage élu par 37 millions de Français une responsabilité exceptionnelle. On façonne, à travers les urnes et les images médiatiques, une sorte de surhomme, proche du mythe. Comme on l’a vu, il intéresse plus que jamais, mais en même temps il déçoit de plus en plus rapidement quand il ne remplit plus son rôle de personnage d’essence supérieure. Ce n’est pas nouveau et tous les derniers Présidents ont connu ces baisses quelques mois après leur élection. Mais cette tendance s’accélère aujourd’hui en prenant de l’ampleur. C’est le prix que les politiques paient pour avoir instauré des rapports affectifs avec le public. Les passions s’épuisent quand elles ne sont pas entretenues et le « tout montrer et tout dire», devenu indispensable pour accéder au pouvoir, est la pire des stratégies amoureuses.
Même si l’on souhaite qu’il nous ressemble, on ne supporte pas que le Président se comporte comme nous, c’est-à-dire avec des faiblesses (casse-toi sale con), des tics, des passions changeantes et peu raisonnables (Carla Bruni). On rit de le voir courir mal, prendre du ventre. Dans notre inconscient, il n’a plus de place en tant que Président chez les humains rongés de failles que nous sommes. C’est face à cette impossibilité que l’opposition peine tant à choisir une politique de gestion responsable compatible avec une stratégie de prise de pouvoir. Il y a là une contradiction à résoudre qui rend l’image d’un Président impossible. Car elle doit satisfaire à la fois des exigences de réalisme—tout en faisant rêver — pour se faire élire, et des vertus de mythe — tout en pratiquant une gestion devenue brutalement pragmatique — une fois élu.
L'article est publié sur Yahoo actualités et sur Agoravox
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