Le thème a resurgi dans un article du Monde la semaine dernière : la photo de François Mitterrand sur son lit de mort. Comme nous l’avons constaté dans plusieurs articles précédents, il est coutumier de conserver une trace des puissants, soit avec un masque mortuaire (depuis l’Egypte ancienne jusqu’à Bruce Lee en passant par Shakespeare, Napoléon, Voltaire, plus récemment Bertold Brecht, Hermann Hesse, James Joyce) soit avec des photographies sur le lit de mort (Proust par Man Ray et Victor Hugo par Nadar), images de défunts qui jouèrent ensuite, socialement, le rôle de masque mortuaire bon marché.
« Le XIXème siècle ne cherche pas à se débarrasser des morts, il y voit des êtres sociaux actifs, engagés dans le présent.» G. Charuty. C’est au XXème siècle que les mentalités par rapport à la mort se transforment. On trouve encore dans la biographie du peintre Pierre Molinier : « En 1918, depuis longtemps amoureux de sa sœur cadette, il la photographie sur son lit de mort ». Et puis la mort devient tabou, pas montrable. En parler devient irrespectueux. On trouve aujourd’hui dans l’interview d’une photographe :
« Quelle est "la" photo que vous n'auriez pas aimé faire, pourquoi ?
Photographier la mort. Ma mère sur son lit de mort lorsque j'étais enfant m'a beaucoup marquée. Photographier des accidents de la route, je n'en serais pas capable. Trop émotive sans doute. »
Paris-Match publie donc, sans l’accord de la famille et des proches, la photo de François Mitterrand sur son lit de mort. L’affaire fait grand bruit. Une plainte déposée, une enquête de police menée. Peu de personnes ont été admises dans la chambre mortuaire, uniquement des proches. Comme dans les meilleurs romans policiers, le coupable se trouve parmi un nombre restreint de suspects bien connus et répertoriés. Certains amis soupçonnés rentrent en disgrâce (Claude Azoulay, photographe officiel du Président). Le rédacteur en chef du journal, Roger Thérond, un des seuls à connaître l’identité de l’auteur de la photo, meurt en 2001 et emporte le secret avec lui tout en blanchissant Azoulay. Le journal est condamné au Franc symbolique. Aujourd’hui, onze ans plus tard, le mystère demeure entier.
Que penser de ce fait divers? Beaucoup de questions surgissent.
D’abord pourquoi, étrangement pour un personnage aussi public, et qui a tout fait pour l’être, la mort demeure-t-elle cachée? Est-ce une volonté du Président, de sa famille, comme pour préserver un soupçon d’intimité d’une vie dont chaque Français connaissait pourtant les détails? En résumant, pourquoi une existence aussi publique génère-t-elle une mort aussi privée?
Ensuite, pourquoi l’auteur du cliché conserve-t-il l’anonymat? Pour ne pas déplaire à la famille? Parce qu’il se sent coupable d’avoir trahi les volontés du Président, honteux d’avoir encaissé un gros chèque au mépris des règles de décence? Il n’aurait pourtant pas grande chance d’être poursuivi par la justice mais préfère toutefois l’anonymat plutôt que d’encaisser de conséquents droits d’auteur.
Enfin pourquoi cette photo fait-elle doubler le tirage du journal? Les lecteurs veulent-ils s’assurer de la disparition? Le côté « dernière image » joue-t-il le rôle symbolique de la fin de l’histoire? Cette image controversée est-elle la preuve du rapport ambigu qu’entretient l’homme contemporain avec la mort : en même temps elle l’effraie mais aussi elle l’attire irrésistiblement… du moins en images?
Illustration : Sépulture de François Mitterrand à Jarnac
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