17 janvier 2007

Le cinéma et l'avion

L’idée de la comparaison est d’Edgar Morin dans son ouvrage Le cinéma ou l’homme imaginaire (éd. De Minuit).

La même année 1895, les frères Lumière présentent leur premier spectacle cinématographique dans un café parisien et Otto Lilienthal prend son envol avec des ailes sur le dos, un an avant de se tuer en planeur. A la différence des frères Lumière qui ne croient pas en leur cinéma pour un autre usage que scientifique ou encore comme attraction foraine, les précurseurs de l’aviation concrétisent enfin le rêve de toute l’humanité depuis l’Antiquité : voler. Le mythe d’Icare devient réalité tandis que la réalité en mouvement (La sortie de l’usine Lumière) se fixe sur une pellicule devant seulement 35 spectateurs payants au Grand Café, Boulevard des Capucines. Le film se termine symboliquement par la fermeture du portail de l’usine comme pour ébaucher la fin d’une histoire qui n’en est pas une.

Qu’en est-il plus d’un siècle après ? On prend l’avion comme on prend l’autobus, sans même se soucier de ce qui défile à l’extérieur du hublot. L’avion, c’est un lieu commun, a réduit les dimensions terrestres en nous projetant en quelques heures d’un bout à l’autre d’une planète qui, à force de communication, devient unitaire. Il fait désormais partie de notre quotidien, s’est banalisé au point d’en devenir ennuyeux.
Le cinéma prend son envol dès l’année suivante, 1896, pour ne plus jamais regagner la terre ferme. Rapidement les frères Lumière envoient des opérateurs dans le monde entier, le Grand Café fait salle comble tous les jours. Très vite Méliès invente les trucages, la mise en scène d’anecdotes. Le rêve cinématographique est né. Il captive aujourd’hui des milliards de spectateurs du monde entier (1,5 milliard par an, rien qu’aux Etats Unis), venus se remplir les yeux des images de plus de 15000 productions annuelles. Le cinéma connaît, 110 ans après le Grand Café, un succès tel que les frères Lumière ne l’auraient pas même imaginé. Il touche toutes les cultures et tous les peuples, avec des chiffres étonnants comme ces 450 films produits par an aux… Philippines (à titre de comparaison Etats Unis 385, France 183), ces cinq milliards annuels de spectateurs indiens contraints de réserver leur place longtemps à l’avance pour avoir une chance de voir un des 620 films nationaux (95% des films projetés). L’homme s’est donc bien vite lassé de voler alors que son intérêt pour les images et les histoires, vraies ou pas, n’a cessé de croître sans marquer le moindre signe d’essoufflement.
Une conclusion bien tentante, presque une évidence, serait de constater la mort imminente des rêves lorsqu’ils deviennent réalités, tout en observant que les réalités peuvent, pourvu qu’on les mette en scène, se métamorphoser en rêves aux attraits inépuisables.

Illustrations : Premiers envols de Lilienthal 1895, La sortie des usines Lumière 1895