18 avril 2007

L'image des candidats

Par ces temps d’élections, il a semblé intéressant de comparer les différentes images que souhaitent donner les candidats d’eux-mêmes à travers les doubles pages A4 (suivant les réglementations) qu’ils envoient à tous les électeurs français. Nous nous sommes limités aux quatre principaux, supposés recueillir, ce dimanche 22 avril, la majorité des suffrages électoraux.

Commençons par la dame. C’est un événement dans nos institutions : une femme a la possibilité d’accéder à la présidence. C’est sa première candidature. Le texte nous gratifie d’un jeu de mot qui accentue la féminité de la candidate en accordant sa fonction avec le genre grammatical du pays : « La France Présidente » (trois majuscules). « Le changement » comme slogan, le thème principal qui a porté Mitterrand au pouvoir en 1981, repris depuis par la quasi-totalité du monde politique, toutes tendances confondues. Il est présenté en contrepoids au nom de la candidate. En bas à droite les trois logos, très discrets, des trois partis représentés (Parti Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, parti Radical de gauche).

La photo est en noir & blanc, visiblement retouchée, d’un cadrage serré sur la tête et, à part le visage, ne laisse rien transparaître d’autre qu’un morceau de collier de la candidate, en bas à droite. Ségolène ne sourit pas. Elle regarde le spectateur. Dans le texte le pronom « je » est très peu utilisé.

Jean-Marie Le Pen se distingue de ses adversaires par une affiche pliée que l’on doit ouvrir pour, aussi bien voir sa photo(au recto) que lire le texte (au verso). Moins de mots que les autres, une plus grande image du candidat, cadré beaucoup plus large. Une phrase écrite à la main attire l’attention par son originalité : « Vive la Vie ». Pas de slogan sur la première page, uniquement « VOTEZ LE PEN ». Un gros logo en bas à gauche « LE PEN président 2007 ». L’homme est souriant, la main gauche (avec alliance) tendue vers le lecteur, comme un signe de rapprochement souhaité, on distingue mal ses yeux. Des couleurs neutres, aucunement marquées (comme le seraient le bleu blanc rouge). Un fond suggérant une foule, très floue. On peut deviner un net désir de gommer tout caractère extrémiste. Le candidat se veut « de rassemblement populaire » et souhaite évincer toute peur, dérives racistes et xénophobes qu’il pourrait susciter. Plus aucune référence à une quelconque discrimination ou encore aux autres thèmes récurrents de l’extrême droite (la sécurité a presque disparu). La seule note nettement frontiste est à la fin du texte : « Je serai le défenseur de la France et des Français d’abord. »


François Bayrou ne sourit pas. Il est accoudé, une main sur l’autre qui laisse voir son alliance. Chemise à rayures bleues ciel, costume sombre. Les yeux dans ceux du lecteur. Image composée sur la diagonale haut gauche-bas droite. Ecriture à la main, « vivre ensemble », un slogan « la France de toutes nos forces » à la limite du jeu de mots. Plan américain, le fond de ciel rappelle le bleu de la cravate. Aucune référence à l’UDF, ni sur l’image, ni dans le texte. Un « je » omniprésent au début de chaque paragraphe. Faire passer le message d’une nouvelle façon de considérer la politique tout en conservant les valeurs traditionnelles (famille, terroir, etc.).




« ENSEMBLE tout devient possible » nous dit Nicolas Sarkozy. L’homme est presque souriant. Il l’est davantage à l’intérieur sur de petites images mais force est de constater que son grand sourire n’est pas très photogénique. Il n’a donc pas été retenu pour les vues principales. Costume sombre, légion d’honneur à la boutonnière, dominante bleue avec un morceau de vert en bas à droite, détourage visible du personnage, cadrage plan américain. Pas de logo, pas de référence à l’UMP. Des mots forts : « valeur travail », « nouvelles protections », « Etat fort et impartial ». Insistance sur la « confiance » et la « sincérité ». Soulignement de l’absence de « mensonge » et de « trahison ». Pour lui aussi, tous les slogans du texte sont précédés de « Je », comme préambule à toutes les phrases. Le candidat mise sur un pouvoir fort, centralisé sur sa personne, pari qui ne peut se gagner qu’avec une confiance (le mot revient souvent) indéfectible des citoyens.

Quels enseignements pouvons-nous tirer en comparant ces dépliants publicitaires ?

D’abord les photos :

Ces élections marquent la disparition des symboles dans les images. Nous sommes loin du clocher de village de Mitterrand ou du pommier de Chirac. Les seuls signes, bien discrets, sont les alliances au doigt et une microscopique légion d’honneur. Disparition également des couleurs trop liées à des partis (sauf pour le PS). Pas de rouge pour l’UMP ou de bleu-blanc-rouge pour le FN, un vague rappel orange dans les lettres pour l’UDF. Aucun candidat ne tente la moindre audace quant au message visuel. La photo de Ségolène Royal est même délibérément passéiste (Noir & Blanc, retouche, absence de contexte vestimentaire). Les photos de Sarkozy et Bayrou se ressemblent étrangement : même composition, mêmes couleurs dominantes, même costume, même fantaisie dans les chemises et cravates, même cadrage, même point de vue. Ségolène Royal et J. M. Le Pen présentent les images les plus différentes, tant par le cadrage que par la texture avec un net parti pris de modernité chez Le Pen et de nostalgie chez Ségolène. Les quatre candidats font tous face au lecteur, les yeux rivés sur lui.

Les textes ensuite :

Les mêmes mots reviennent chez les quatre : « confiance », « unis », « tous les Français ». Il est clair que le message à faire passer est celui du rassemblement d’un groupe qu’on souhaite le plus large possible. L’obsession du « je » se retrouve chez François Bayron et Nicolas Sarkozy, tout comme l’absence de référence à un parti politique qui risquerait de diviser au lieu de rassembler. Ces deux derniers candidats se présentent comme des hommes indépendants et jamais comme les représentants d’un groupe quelconque. Ils dénoncent tous les deux l’inefficacité du système politique actuel.
Ségolène Royal et J. M. Le Pen présentent des textes moins centrés sur leurs personnes. Les logos de leurs partis figurent sur la première page du tract. Ségolène emploie des infinitifs : « Garantir la cohésion nationale » et Le Pen s’adresse aux électeurs : « N’ayez pas peur », «… nous allons restaurer la souveraineté française ».
Dans les quatre feuillets on retrouve des phrases écrites de la main du candidat ainsi que sa signature. Pour deux d’entre eux sur la première page, à côté de la photo. Pas de place, chez aucun des quatre, pour une quelconque fantaisie tant sur le fond que sur la forme.

Beaucoup de points communs donc entre Sarkozy et Bayrou dont on soupçonnera que les conseillers en communication puissent sortir du même moule. Un étrange pari de Ségolène Royal qui, en rompant avec une communication d’école, tient à rassurer en misant sur le passé, tant pour l’image que pour le slogan tout en effaçant son ego derrière un discours plus collectif. Un revirement de Le Pen qui s’applique à ne plus faire peur en présentant de lui-même une image respectable, largement populaire, sans écart de langage et plutôt moderne.

Il restera difficile, le dimanche 22 avril au soir, de déterminer quel aura été le rôle de la communication dans les résultats du scrutin. Il semble pourtant évident qu’il va crescendo au fil des années pour même devenir fondamental avec la disparition des idéologies. On saura bientôt lequel des quatre candidats aura fait le meilleur choix en s’adressant à la population.