La photographie selon Baudrillard
La question s’est posée récemment pour la peinture, certainement influencée par les débuts de la photographie. L’image comporte pourtant trois fonctions principales : informative, idéologique et esthétique. Elles sont toutes trois critiquables mais ont régenté toute l’histoire de l’art depuis les origines. L’informatif englobe le souvenir et les événements. L’idéologique a régenté la grosse majorité des images jusqu’à la Renaissance. L’image reste utilisée encore aujourd’hui pour promouvoir toute pensée religieuse et généraliste. Le décoratif, et plus généralement l’esthétique, est universel depuis l’Antiquité à quelques rares exceptions de périodes religieuses iconoclastes.
Le mal que dénonce Baudrillard, ce manque de « fascination » et « d’intensité », provient du développement tout azimut d’images dans notre environnement. Il le dit clairement :
« C'est plutôt l'indifférence qui domine devant les photos d'information. Elles sont devenues trop familières pour nous toucher. Nous sommes accoutumés. Il nous en faut toujours plus. La prolifération des images est telle qu'on a franchi un seuil critique qui interdit un décodage véritable. » La faute en incombe donc davantage à la multiplication qu’à l’essence même de l’image. Phénomène uniquement culturel et pas définitif ni même philosophique donc. Nous l’avons déjà écrit dans ce blog : sans éducation picturale une image ne signifie rien pour personne. Le sens que nous donnons aux images n’est pas inné mais se constitue grâce à un apprentissage bourré de référents auxquels il reste difficile d’échapper.
Que doivent donc être les images, selon Baudrillard, déchargées de toutes ces fonctions qui les entravent ?
« Elles doivent d'abord être délestées de cette surcharge politique, esthétique, d'information. Il faut un transfert poétique pour être ému. Il faudrait que le contenu puisse laisser à l'imagination le moyen de se frayer un chemin dans l'image. Je pense surtout à des images brutes ».
Faudrait-il donc faire abstraction, oublier même nos références culturelles ? Cela reste une illusion pour la simple raison qu’il nous serait alors impossible de lire un magazine, de voir un film en le comprenant, de faire un croquis pour expliquer un fonctionnement. Bref cela reviendrait à ne plus utiliser d’images et surtout il nous faudrait les remplacer. Par quoi ? Les mots peut-être… qui pourtant, eux aussi, débordent de sens. Alors, on enlève leurs sens aux mots aussi ? S’il reste vrai que les images contemporaines veulent souvent nous conduire brutalement dans une direction trop précise, au mépris des interrogations et du cheminement qu’elles pourraient générer, dire qu’il faut « un transfert poétique pour être ému » nous fait irrémédiablement retomber dans des référents culturels et donc aussi dans du sens. Les brillants raisonnements conduisent parfois à des apories mais saluons ici Baudrillard pour son mérite à se pencher sur des questions difficiles, mal résolues par nos pensées cartésiennes.
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