Image virtuelle : comment une expression perd son sens
On y est de plus en plus confronté depuis son jeune âge pour décrire des mondes de fiction. On s’y casse les dents aux premières leçons de physique en étudiant le miroir. Son sens varie en touchant à la politique et la philosophie.
Image virtuelle: que peut-on dire de cette expression employée aujourd’hui à tout va, par tout le monde, sans que sa définition soit véritablement limpide ?
D’abord la définition de la physique: une image réelle peut être reçue sur un écran. Elle se trouve à la confluence des rayons. Une image virtuelle est simplement perçue par un observateur victime d’une « impression ». Ex : une pièce de monnaie dans une piscine dont on a l’impression qu’elle se trouve en A alors qu’elle se trouve effectivement en B. L’image virtuelle ne correspond pas à une convergence de photons mais à l’idée qu’on s’en fait à travers un système optique quelconque.
Ensuite celle de la philosophie, de la politique: est qualifiée de virtuelle une image n'ayant pas de correspondant actuel (c'est-à-dire dans les faits tangibles), mais seulement une existence dans l'imagination. Virtuel est donc pris au sens d’un « possible », d’un état potentiel susceptible d'actualisation (arbre virtuellement présent dans la graine). On parle aisément d’image virtuelle de la France en 2010 par exemple.
Ce qui contredit la première définition. La pièce de monnaie existe bien réellement, pas seulement dans notre imagination. La philosophie oppose le virtuel à l’actuel (et pas au réel). Seulement, l’image de nous-même dans le miroir est bien actuelle. D’autre part, aucun système optique ne nous donnera une image d’arbre à partir d’une graine.
Enfin, la déferlante d’images de synthèse avec le numérique et le vocabulaire qui s’y est adjoint a donc amené une troisième définition applicable, celle-là, aux espaces virtuels, réalités virtuelles (notons au passage l’étrangeté de l’expression fondée sur deux mots contradictoires) :
est virtuel ce qui a, sans être réel, mais avec force et de manière pleinement actuelle (c’est-à-dire potentielle) les qualités (propriétés) du réel – D. Berthier
En clair le virtuel serait l’imitation, ce qui ressemble à ce qu’on connaît mais qui ne l’est pas vraiment, excluant ainsi tout monde irréaliste, fictif, la quasi totalité des jeux vidéo et des personnages de synthèse (qui sont justement utilisés pour leurs qualités irréelles). Pourtant, lorsqu’on parle de « ville virtuelle », on pense bien sûr à une structure urbaine mais sans ressemblance avec une ville existante précise, bref sans rapport avec une quelconque réalité.
Rassurons-nous, les dictionnaires et encyclopédies s’y perdent aussi :
- «Le vocable virtuel est aujourd'hui employé à tout propos, souvent sans qu'un sens précis puisse lui être assigné.» Le Dictionnaire
- « Virtuel, (en informatique employé à toutes les "sauces") peut désigner ce qui n'est pas réel ou palpable. Si nous visualisons une image en trois dimensions avec la possibilité de se déplacer à l'intérieur de son contenu, nous effectuons une "visite virtuelle" ». Aidenet.com
- « Image formée par des rayons divergents » Le Robert
Une chose est sûre, l’expression a considérablement dérivé, au point que le mot image est implicitement accolé à l’adjectif virtuel si l’on prend l’ensemble des définitions. Toute image cinématographique, télévisuelle, photographique serait virtuelle. Une nouvelle définition semble pourtant s’orienter, par défaut, vers un synonyme de fictif, imaginaire, puisqu’en informatique et en numérique tout est virtualité. Donc, l’image virtuelle, dernière version, celle des accros de la souris, de la console et de l’écran LCD, serait une représentation d’un monde n’ayant pas, ou peu, de correspondant avec notre bonne vieille réalité. Une définition très proche de celle des philosophes en sorte… et tant pis pour la physique.
Illustration: 1-la vision dans un milieu d'indice de réfringence différent 2-Lara Croft, personnage de synthèse.
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