Le cinéma et la psychanalyse
L’aviation n’est pas seule à être née à la même époque que le cinéma (cf. article du 17 janv. 2007 Le cinéma et l’avion). La psychanalyse en est également contemporaine et on peut avancer qu’elle l’a passablement influencé.
D’abord le côté onirique du cinéma se prête bien à l’analyse des rêves chère à Freud qui dira pourtant : « Il ne me paraît pas possible de faire de nos abstractions une représentation plastique qui se respecte tant soit peu ». L’aventure est pourtant alléchante pour les cinéastes : quoi de mieux que le cinéma et ses « truquages » pour représenter l’inconscient ? La psychanalyse ne l’entend pas de cette oreille en arguant que le rêve, ce sont avant tout des mots qui sont ensuite projetés en images.
Les rapports père fils, ou encore mère fils fleurissent dans les films de Nicolas Ray (La fureur de vivre, Soudain l’été dernier), les psychiatres dans les films d’Hitchcock (La maison du Docteur Edwards). Le cinéma, depuis Méliès, s’approprie l’illusion individuelle. La caméra entre dans le mental des individus pour nous en donner les représentations subjectives. La transition entre l’objectif et le subjectif est si bien ancrée dans notre culture cinématographique qu’on ne la remarque même plus. Un exemple parmi des milliers : la montée de l’escalier du clocher par James Stewart dans Vertigo (Sueurs froides). Petit rappel : le héros souffre de vertiges dès qu’il grimpe sur une chaise et, dans cette scène, poursuit une femme pendant l’ascension de l’escalier d’un clocher. Son handicap l’empêchera de monter jusqu’au sommet. On le voit donc gravir les marches (caméra objective) puis, à deux reprises, on passe brutalement à une prise de vue subjective. Le spectateur se trouve alors dans la tête du héros. La caméra ce sont ses yeux. Mais pour bien comprendre que nous changeons de « point de vue » et que James Stewart est pris de vertiges, l’image subit un zooming chaque fois, censé simulé le trouble mental.
Il est également fréquent, au cinéma, que nous entrions dans les rêves des personnages. Cette entrée est le plus souvent précédée d’un fondu au flou qui symbolise l’endormissement. Une sorte de signal qui nous avertit : attention rêve. D’ailleurs, par une autre étonnante convention qui nous semble presque naturelle à force de la subir, les mouvements de ces rêves sont souvent ralentis, l’image parfois surexposée, le son absent. On retrouve le fondu au flou pour le « flash back », qui est un saut en arrière dans le temps : le personnage parle du passé, l’image se brouille et on le retrouve, non plus en position de narrateur mais en position d’acteur de la scène qu’il avait commencé de décrire.
En bref, le cinéma réussit à représenter avec des images accolées de symboles (zoom, flou, ralenti) tout ce qui constitue les bases de la psychanalyse. Il met en scène les fantasmes et les rêves et ressuscite le passé d’un coup de baguette magique. Une vraie aubaine pour un scénariste à une époque où la psychologie est en plein développement. Cinéma et psychanalyse, que l’on attendait comme des outils scientifiques, se sont donc très vite échappés des limites cartésiennes pour constituer, en utilisant une symbolique aujourd’hui bien assimilée par tous, deux valeurs fondamentales de nos sociétés contemporaines :
"Tout se passe comme si le cinéma et la psychanalyse, se retournant d’un même mouvement retors contre la trajectoire scientifique qui les portait, manifestaient le désir de tordre le cou à une certaine rhétorique positiviste, pour ouvrir à l’homme imaginaire de l’ère moderne leurs deux perspectives parallèles..." (Roger Dadoun, Cinéma, psychanalyse et politique, Ed. Séguier)
Illustration : 1 - L'escalier du clocher dans Vertigo 2- Maison du propriétaire de l'hôtel dans Psychose
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