09 juin 2006

La méfiance des écrivains

Balzac, selon Nadar qui en fit le portrait, croyait que l’homme, comme l’oignon, possédait plusieurs enveloppes qui l’entouraient et qu’une d’elles disparaissait chaque fois qu’on le photographiait. Il ne fallait donc pas en abuser… Trois photographies seulement de Balzac sont connues aujourd’hui.

Flaubert n’accordait aucune valeur sentimentale à la représentation photographique. Il écrit à une amante : « [...] ne m’envoie pas ton portrait photographié. Je déteste les photographies à proportions que j’aime les originaux. Jamais je ne trouve cela vrai [...]. Ce procédé mécanique, appliqué à toi surtout, m’irriterait plus qu’il ne me ferait plaisir. Comprends-tu ? Je porte cette délicatesse loin, car moi je ne consentirais jamais à ce que l’on fit mon portrait en photographie. »

Baudelaire ardent combattant de l’image argentique lui reconnaît toutefois une valeur de mémoire, rien de plus : « Qu’elle (la photographie) sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous ! ».

Pour résumer, au dix-neuvième siècle, la photographie peut s’avérer dangereuse pour la santé mais surtout étouffe le songe, tue la fantaisie en fournissant des représentations trop précises et mécaniques qui n’évoquent plus rien. Le « vrai » de Flaubert ne peut être une copie. En revanche, le portrait peint a une âme. Bien que moins fidèle il évoque davantage de sentiments. Il suscite plus qu’il ne montre. L’objectivité n’a pas, chez les romantiques, valeur de sensations. La peinture s’était déjà, à cette époque, affranchie de la ressemblance. La photographie pas encore.

Aujourd’hui, force est de constater que beaucoup de photographes, tout comme Flaubert, n’attachent aucune valeur fétichiste à leurs images. La photo des êtres aimés est très peu présente dans leur foyer ou leur portefeuille. Et comme le portrait peint a pratiquement disparu, il leur reste les souvenirs dans la tête pour attiser les sentiments.