Proust, un fils de Nadar : la transition
En remontant de plus en plus haut, je finissais par trouver les images d'une même personne séparées par un intervalle de temps si long […] que j'avais même cessé de penser qu'elles étaient les mêmes que j'avais connues autrefois, et qu'il me fallait le hasard d'un éclair d'attention pour les rattacher, comme à une étymologie, à une signification primitive qu'elles avaient eue pour moi. (Le temps retrouvé) On oublie le vieillissement en le vivant au quotidien. Mais la photo remet tout en place, souvent elle dénonce les égarements.
Pour qui cultive le souvenir comme lui, la diffusion de la photographie est une mine à exploiter à tout prix, bien plus prometteuse que la petite madeleine. Mais il met une limite aux vertus des images argentiques : parfait pour susciter, très médiocre pour imaginer. Il va même jusqu’à renier les affres du temps, celles qui dérangent : Le temps qui change les êtres ne modifie pas l'image que nous avons gardée d'eux. (Le temps retrouvé) L’image dans la tête prédomine sur le souvenir objectif et sa preuve argentique.
Bien qu’héritier de Baudelaire, Proust colle des références photographiques dans toute son oeuvre : « l’instantané », « la pose », « le cliché », « la chambre noire » reviennent régulièrement. Brassaï décèle chez lui une double lutte, commune à celle du photographe : contre le temps avec le « désir immémorial d’arrêter le temps » et avec lui en se référant toujours à la durée et à l’éternité.
Proust, bien que fasciné par ce fantastique instrument d’enregistrement en plein essor le méprise, en même temps qu’il s’y réfère au quotidien, comme tous les artistes et intellectuels jusqu’aux années 1930. Il assure la transition entre le monde des mots et des pensées, celui des romantiques, et le monde des images qui ne nous a plus quittés depuis. Cocteau demanda à Man Ray, qui rechigna, de faire le portrait de son ami écrivain sur son lit de mort… pour la dignité de la photographie.
La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus. (A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
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