17 juillet 2007

La crainte d'être photographié

Que se passe-t-il à l`instant où un appareil est braqué sur nous ? Le risque qu’on enregistre notre image nous met mal à l’aise. Comment expliquer qu’un acte devenu aussi courant hérisse le poil de la plupart d’entre nous ? Que craignons-nous au juste ? Tous les journalistes remarquent que si l’enregistrement de la voix est plutôt bien admis aujourd’hui, dès qu’une caméra pointe le bout de son objectif, le public s’enfuit. Et pourtant… des milliards de photographies sont prises chaque année, les caméras de surveillance (« souriez vous êtes filmés ») fleurissent dans les boutiques et aux coins des rues, de nombreux internautes équipent volontairement leurs ordinateurs de webcams qui les suivent dans leur intimité, sans parler des téléphones portables souvent équipés d’appareils photos rudimentaires. On aurait pu croire que notre image deviendrait anodine. Balzac, qui pensait que chaque photographie lui enlevait une de ses enveloppes, en le dépouillant comme un oignon, est-il encore d’actualité ? On aurait pu croire que la multiplicité de nos représentations entraînerait l’habitude, voire la lassitude, en tout cas pas l’indignation. Force est de constater qu’il n’en est rien. Enregistrer notre image est encore ressenti comme une restriction de liberté, presque une agression.
Sur le sujet, le Droit est quasi inapplicable et très ambigu : l’autorisation de la personne est requise si elle est considérée comme sujet principal de l’image. Dans les faits, comment peut-on, au moment de la prise de vue, affirmer, en pestant contre le photographe, avoir été piégé ? Celui-ci peut très bien rétorquer avoir pris un cliché sur lequel on ne figure pas. Et d’ailleurs la loi ne s’attache pas à la prise de vue mais à sa publication, ce qui implique de lire les milliers de revues qui paraissent chaque semaine, en France et à l’étranger. Internet n’est pas exempt de ces droits sur l'image, et le contrôle devient aujourd’hui ingérable.
Cette aversion a être représenté est d’autant plus surprenante qu’il existe, chez les citoyens, un désir profond et de plus en plus patent de laisser des traces de leur passage sur terre. Une survalorisation de l’individu palpable dans la publicité ("vous le valez bien") et dans beaucoup d’actions entreprises pour exister après sa disparition. C’est une des premières motivations pour avoir un enfant, pour construire une maison, pour écrire un livre… alors pourquoi rechigner à donner son image, empreinte tellement évidente de son identité?
Une première explication vient à l’esprit : cette image ne nous convient pas. Nous n’en sommes pas fiers et en souhaiterions une autre, plus valorisante, qui expose un meilleur côté de notre personne. Les décors des photographes du passé sont toujours bourgeois, les habits du dimanche toujours de rigueur. Le quotidien, le vêtement de travail, n’ont jamais suscité la demande des « portraitisés ». D’ailleurs, par le passé, les demandes de portraits confiés aux professionnels de la peinture, de la sculpture et plus tard de la photographie, allaient toujours dans le sens de la catégorie sociale juste supérieure à celle du client: l’ouvrier représenté comme un bourgeois, le bourgeois comme un aristocrate, l’aristocrate comme un souverain et même le souverain souvent immortalisé en empereur romain.
La seconde explication est que nous supportons mal une représentation contre notre gré, une atteinte à ce que l’on croit être notre liberté individuelle. La phobie de l’espionnage est toujours là. Cette inquiétude peut prendre des allures obsédantes presque paranoïaques. S’il est vrai que nous sommes souvent photographiés à notre insu, ces images ne peuvent théoriquement être utilisées que pour des individus déjà suspectés, et elles ne constituent pas des preuves. Le thème du grand complot étatique, du monde d’Orwell, de la STASI, est toujours d’actualité et les performances accrues des enregistrements d’images ne concourent pas à sa disparition.
La troisième explication est liée au phénomène du miroir. Nous nous voyons rarement tel que nous sommes tout simplement parce que c’est le miroir qui nous renvoie notre image. Et ce miroir inverse l’image droite gauche avec une symétrie horizontale (axe vertical). Un grain de beauté sur la joue droite est à gauche sur l’image réfléchie. Notre visage n’étant jamais tout à fait symétrique nous sommes accoutumés à sa dissymétrie inversée. Il serait intéressant de présenter deux portraits individuels à un échantillon de population, l’un normal, l’autre comme dans un miroir en demandant la préférence de chacun.
La quatrième explication est plus psychologique et il est difficile de l’approfondir ici. Elle concerne la pudeur. Certains parmi nous supportent mal les feux de la rampe. Une forme de modestie les garde de devenir un centre d’intérêt pour un public, si réduit soit-il. C’est leur choix le plus légitime et dans une société où la célébrité devient un atout majeur, on ne peut que respecter ceux qui en décident autrement et préfèrent rester dans l’ombre… par humilité.
Illustration : Balzac par Nadar, Daniel Lemarchand (bas)
Pour ceux que cela intéresse l'article est publié sur Agoravox