10 janvier 2007

Apprendre à voir le monde

Un peu de philosophie cette semaine, en rapport avec l'image tout de même. Que les lecteurs se rassurent, ce type d'article restera exceptionnel.
« Il est vrai à la fois que le monde est ce que nous voyons et que, pourtant, il nous faut apprendre à le voir ». Merleau-Ponty le visible et l’invisible éd. Gallimard
Cette dernière œuvre de Merleau-Ponty, inachevée, découverte après sa mort en 1961 a été largement commentée, en particulier par Claude Lefort qui y relève les paradoxes de la perception selon le philosophe
a) Elle implique la foi dans le monde et simultanément pour chacun l’expérience est sienne
b) Pouvoir d’accéder au monde et de me retrancher dans mes fantasmes
c) La perception enseigne une proximité absolue au monde et une distance irrémédiable
d) Enfin la perception me heurte au mystère d’autrui car la chose perçue par autrui se dédouble devant celui qui la voit : celle qu’il perçoit est celle que je vois hors de son corps et que j’appelle chose vraie.

Nous ne nous intéresserons ici qu’aux deux premiers paradoxes en essayant de les commenter. La vision est donc ce qui permet d’obtenir une base commune nous permettant de communiquer, et en même temps elle est propre à chacun d’entre nous. Là se trouve, selon Merleau-Ponty, le paradoxe : la vision se situerait entre le commun et l’individuel, sans que l’on sache précisément où commence la part de l’un et où finit celle de l’autre. Un exemple : nous avons appris, depuis notre enfance, ce qu’était un château. On peut donc en parler avec les autres et on peut croire qu’il est question de la même chose, mais lorsqu’il s’agit de le dessiner (le dessin n’est en rien un bon exemple d’objectivité), chacun trace des contours différents. Dix peintres devant le même bâtiment donneront dix toiles radicalement différentes, même objectivement cette fois si l’on prend en compte la myopie de l’un, la presbytie de l’autre. Chaque image est personnelle et en même temps commune aux autres, une base pour notre système de langage qui consiste à nommer les choses, les décrire et une perception individuelle pour le couple œil-cerveau qui nous permet d’appréhender notre environnement en y superposant notre sensibilité et notre connaissance.

« Apprendre à voir le monde » selon Merleau-Ponty, ce serait peut-être associer des idées à des impulsions visuelles électriques. Il se trouve que les unes ne vont pas sans les autres. On a l’idée d’un château d’après les impulsions visuelles qu’on a pu recueillir devant le monument. A partir de cette base, le château peut évoquer des milliers de scènes, de souvenirs, de fantasmes différents (paradoxe b). De même on ne conçoit pas la sensation visuelle sans tout l’imaginaire qui l’accompagne parce que nous sommes des êtres pensants, remplis de souvenirs, de rêves et que nous avons, depuis notre tendre enfance, associé les sensations optiques à des pensées.

Il n’y a peut-être pas tant de paradoxes finalement. La vision pourrait être une sensation optique commune (en supposant un même œil) accolée à des idées personnelles qui différent légèrement, pas assez pour qu’on ne sache plus de quoi on parle, mais suffisamment pour affirmer une personnalité individuelle. Ce n’est toutefois qu’une proposition, le débat reste ouvert, bien entendu. Illustration : de haut en bas Marion, Jonas, Sarah