19 décembre 2006

L'image deviendrait-elle anonyme ?

Une photo qui obtient le prix Pulitzer et dont on ne connaît pas l’auteur. Le fait est assez original et mérite d’être signalé. C’est en 1979 après l’arrivée de Khomeyni en Iran (soutenue par toute la presse internationale qui n’imaginait pas pire que le Shah). Les tireurs sont des soldats de la République islamique d’Iran et les victimes une dizaine de Kurdes.

Le temps passe, de temps à autre un photographe iranien, réfugié à l’étranger, réclame la paternité de l’image mais sans jamais convaincre, faute de preuves. Il semble pourtant, à ce qu’affirme le Wall Street Journal dans un article daté du 4 décembre 2006, qu’on ait retrouvé ce mystérieux photographe, anonyme jusqu’à présent. Il s’agirait de Jahangir Razmi, âgé aujourd’hui de 58 ans, résidant à Téhéran. Ce photographe en reportage dans le Kurdistan assiste au procès expéditif qui aboutit à l’exécution des Kurdes. Le journaliste américain a même vu les planches-contacts de la scène au domicile de Razmi. Le photographe iranien avait une autorisation pour la prise de ces clichés, il a remis les négatifs aux autorités iraniennes et bien sûr n’a jamais touché un sou pour la publication de cette célèbre image, en 1979, dans tous les périodiques du monde entier. C’est en fait le rédacteur en chef du journal Ettela’at qui, après avoir décidé de la publication de l’image, a choisi de ne pas mentionner son auteur afin de « le protéger » dira-t-il. Si le journaliste américain n’était pas allé chercher Razmi en Iran, ce dernier n'aurait pas souhaité être identifié comme auteur du célèbre cliché. Belle leçon d’humilité, ou encore curieuses pratiques des rédacteurs en chef pour éviter de verser les droits d’auteurs. Seul cet étonnant concours de circonstances, le prix Pulitzer (à une époque où l’Iran représentait le diable chez l’oncle Sam) et la recherche d’un journaliste américain, ont permis de rompre l’anonymat de cette image.

Il semblerait que de plus en plus d’images « scoops » soient issus d’amateurs simplement armés d’un "téléphone portable appareil photo" de qualité médiocre. Ils ont pour seul avantage d’être présents à l’instant de l’événement. Un heureux hasard, de ceux qui se produisent une fois dans la vie, leur donne la une des quotidiens et hebdomadaires. Une ou deux semaines de gloire avant de disparaître dans l’anonymat d’où ils sont venus, sans que personne n’ait su retenir leurs noms. On peut dire que la photographie de presse se « déspécialise » et du même coup se dépersonnalise. C’est la simple conséquence de l’entrée de l’appareil rudimentaire de prises de vues dans le quotidien qui implique que tout citoyen est, potentiellement, un photographe qui s’ignore. Razmi recevra finalement son prix en 2007, vingt-huit ans après, avec les lauréats de l’année. Mieux vaut tard…