22 novembre 2006

L'obscénité : tout montrer revient à ne plus rien montrer du tout ?

« La pornographie est ainsi une très bonne métaphore de l’illusion, beaucoup plus générale, de la communication toute-puissante : on y montre tout ce qui est visible, mais du même coup on n’y voit jamais rien, du moins rien de ce qui est essentiel. » Philippe Breton L’utopie de la communication - Ed. La découverte (1997). Edgar Morin dénonce également ces avalanches d’images qu’il qualifie d’obscénité, le mot prend alors un sens nouveau.
Obscène : qui blesse la délicatesse par des représentations grossières de la sexualité (Dict. Robert). « Mais il apparaît clairement que l’obscène, à force de relativité, peut en venir à se banaliser : il ne fait plus peur à personne. » Jocelyn Maixent. De facto, la définition tombe. La blessure s’amoindrit quand elle se répète. Ce mot ne possède aucune étymologie satisfaisante. La plus courante : du latin obscenus (de mauvais augure). Le Robert historique de la langue française nous apprend que l’étymologie du mot est inconnue. Benvéniste remarque que tous les mots latins se rapportant aux présages sont expressément liés au regard. Et pourtant, on qualifie aussi bien d’obscène les romans de Sade ou de Catherine Millet (La vie sexuelle de Catherine M.) On opposait jadis l’obscène à la pudeur, notion on ne peut plus relative, simplement parce que ce qui choquait ne choque plus lorsque la commercialisation qui joue sur l’effet de surprise impose d’en montrer toujours davantage. La limite ne cesse donc de se déplacer. Le Loft télévisuel de M6, destiné à tout montrer de la vie diurne et nocturne de quelques individus enfermés avec la télévision, a souvent été qualifié d’obscène. On peut donc aujourd’hui avancer de nouvelles définitions : l’obscène c’est le « tout montrer ». Pour certains autres : la dislocation entre le corps et l’esprit. Considérer le corps comme un objet (la fameuse « femme objet ») en faisant abstraction de l’esprit de son possesseur.
Mais si la pornographie, et plus généralement l’obscénité, revient à « ne pas voir ce qui est essentiel », il y a lieu de se poser la question : pourquoi le public est-il au rendez-vous pour ne rien voir ? Pourquoi autant de spectateurs pour le Loft de M6 et pourquoi le pornographique fait-il encore recette ?
Selon Baudrillard le « tout montrer » est l’antithèse de la séduction qui doit préserver des domaines secrets, et pourtant les personnages du Loft sont adulés par des centaines de milliers de téléspectateurs. Serait-on en présence d’une aporie de la pensée ? Ou alors d’une dimension qui n’est pas prise en compte ? Celle qui consisterait à dire que le caché a pour vocation d’être découvert. D’autre part que le public, lassé de fictions, demande du concret (même si dans le cas du Loft le réel est un leurre), des personnages qui existent sans jouer de rôle, sans scénario, avec la surprise de l’événement en direct. Tout est filmé et on reste devant son téléviseur pour ne rien rater, avec la hantise de manquer un instant « essentiel », justement, qui finira bien par se produire tôt ou tard. Peu de rapport avec la pornographie qui se contente de montrer ce qui nous a été dissimulé avec la fascination que cela engendre, d’autant que la pornographie est elle-même cachée, protégée de la vue des enfants. C’est la découverte du pot de confiture survalorisé grâce au mystère de la cachette.
Il y a fort à parier que face à une image pornographique, le regard se porte sur les parties sexuelles et sur rien d’autre, et que donc l’obscénité ce serait imposer le sens du visuel, sans laisser de chance à une autre interprétation, annihiler le choix et la part de rêve. Mais alors il faudrait y englober toute la publicité, tout le cinéma idéologique et le Loft n’entrerait pas dans cette catégorie. Il en est même le contraire puisque l’image est de type « caméra de surveillance » qui, par définition, n’impose rien puisqu’elle n’est pas construite.

La notion d’obscénité concerne donc en majorité les images (mais aussi la littérature). Difficile d’en dire davantage. Elle échappe à la pensée cohérente, à l’interprétation. Elle se révèle différente pour chacun de nous, bref elle reste de l’ordre de la sensation relative et les mots paraissent bien handicapés pour la décrire. Jocelyn Maixent remarque : « La vraie obscénité contemporaine est peut-être plus immatérielle et moins saisissable qu’il y paraît, désertant la scène de la représentation pour prendre place dans ses coulisses. » …dans ce qui nous est caché alors ? Retour à la case départ.

Illustration : Le Loft Story américain