08 novembre 2006

L'homme invisible : rêve ou cauchemar

Depuis l’Antiquité ce mythe n’a cessé de tarauder l’homme. Exception faite de la fin du XXème siècle, à l’époque contemporaine, si l’on en juge par la littérature et le cinéma, le procédé n’a pas vieilli et le public reste encore fasciné par « l’homme invisible » en lui accordant toutefois des vertus soit positives, soit négatives, nous verrons dans quelles circonstances.
La semaine dernière, Athéna donnait à Persée un casque qui le rendait invisible, mais le couvre-chef magique est plutôt un attribut d’Hadès (Pluton chez les Romains), cadeau des Cyclopes. Il est en peau de chien et rend invisible quiconque en est coiffé.
L’époque médiévale et moderne avec ses contes ne manque pas de ces philtres qui rendent invisible celui ou celle qui les absorbe. Chaque fois ce subterfuge permet d’accomplir une mission impossible à la vue de tous, chaque fois le héros reprend son apparence visible lorsqu’il le désire et, à notre connaissance, jamais cette magie n’est utilisée pour générer le mal.
C’est à la fin du XIXème siècle que les choses se gâtent. H.G. Wells en est l’instigateur et dans son célèbre roman L’homme invisible, il présente une image de savant fou incapable de faire marche arrière une fois l’expérience réussie après quinze ans de recherche. Wells insiste sur tous les inconvénients que procure l’invisibilité. Il fait de son héros un monstre inadapté, traqué par tous qui finira pour mourir d’un coup de bêche.
Quelques années plus tard paraît le roman de Jules Verne (cinq ans après la mort de l’auteur) Le secret de Wilhelm Storitz qui présente le caractère invisible comme un danger universel. Le secret est aux mains du méchant (Allemand) qui ira même jusqu’à faire disparaître l’héroïne et mourra sans livrer son secret.
A partir de cette époque, le caractère invisible devient permanent, voire accidentel. Il est utilisé souvent comme force du mal et tous ceux qui en sont atteints durablement essaient de s’en débarrasser. C’est une remarque que nous pouvons avancer : un pouvoir est taxé de bénéfique lorsqu’il est volontaire et exceptionnel. Il devient malédiction dès qu’il échappe à celui qui en est affecté. Il le transforme même en monstre pitoyable et parfois dangereux. Tout dépend donc, pour le sujet envoûté, de son libre arbitre.
Le cinéma emboîte le pas dès ses débuts (Méliès en 1903 avec Siva l’invisible) donnant là matière à effets spéciaux destinés souvent au burlesque (Le cycliste invisible, The invisible dog). Ensuite et jusqu’aux années trente, l’invisibilité au cinéma est un attribut aussi bien positif (arrestations de criminels, combat pour la bonne cause) que négatif (détournements, vols), aussi bien comique que dramatique.
En 1933, Universal confie à James Whale l’adaptation du célèbre roman de Wells. C’est un succès considérable qui générera bon nombre de remake, de « retours» et d’imitations. Le héros est entouré de bandelettes qui lui donnent des allures de momie, pour ne pas dire d’inquiétant fantôme.
Après la seconde guerre mondiale, le ton change. Les savants fous dans leurs laboratoires fumants ne font plus recette dans un monde qui a décidé d’exprimer sa gaieté et son optimisme. On dérive du tragique à la farce avec des animaux géants (Harvey de Henry Koster) et l’invisible devient un gag sujet à tous les quiproquos.
La télévision et son recyclage ne pouvait pas manquer un sujet aussi porteur. Elle produit en 1958 une série anglaise à succès The invisible man mettant en scène un savant victime de ses expériences qui cherche à se libérer de ce fardeau mais rejoint le camp des bons en travaillant finalement pour les services secrets. Les séries postérieures, diffusées à partir de 1970, ne trouvèrent jamais leur public. Le thème semble aujourd’hui éculé. Les effets spéciaux sophistiqués et le cinéma numérique ont banalisé l’invisible, sauf peut-être pour un public jeune.

Pourquoi cette fascination pour le « voir sans être vu » ? Les photographes des chambres à soufflets qui se dissimulent sous un tissu noir peuvent être rattachés à ce voyeurisme anonyme. Le rideau, le moucharabieh, le voile, le masque de carnaval, tout ce qui concourt à se rendre invisible tout en voyant l’autre n’est-il pas une façon d’éviter (donc en le redoutant) le jugement de l’autre, tout en se réservant le privilège de juger l’autre soi-même ? Mais il faut pouvoir tirer le rideau, sortir de chez soi, lever le voile, ôter le masque, sinon le rêve tourne au cauchemar… il faut pouvoir se rendre visible quand on le souhaite, éviter ainsi le risque de ne plus exister du tout.