Descartes : les idées sont les images des choses
Une image, dans la physique de Descartes, n’est pas une copie de quelque chose. Elle ne ressemble pas à l’original mais elle le représente. Cela rejoint, quelques siècles plus tard, la théorie de Gombrich sur les pions d’échecs : On ne demande pas à un cheval d’échiquier de ressembler à un cheval mais de l’évoquer, même le plus simplement possible. Il applique ensuite cette théorie à toute une partie de l’histoire de l’art grec en particulier, à l’époque archaïque, vingt cinq siècles avant. Un Kouros évoque un homme, il n’a pas vocation à lui ressembler. Il reste une image au sens de Descartes comme au sens des cubistes, trois siècles plus tard, pour qui un essai de représentation du volume prédominera sur la projection de l’objet dans un espace plan.
Descartes pousse plus loin en comparant les objets aux mots qui joueraient le même rôle que les images, qui éveillent dans l’esprit les idées de choses qu’ils signifient alors qu’il n’y a manifestement aucune ressemblance entre ces mots, qui sont de purs sons lorsqu’ils sont entendus, et les idées que ces mots signifient. Dans le Discours de la méthode il compare sa démarche à celle des peintres. Il essaiera donc de représenter la vie comme en un tableau.
Ensuite, avec Pascal, ils butent sur la vérité en introduisant un point indivisible à partir duquel on peut juger de la vérité ou ce que Descartes appelle la perception ou l’idée claire et distincte avec cette étrange troisième méditation : Toutes les choses que nous concevons fort clairement et distinctement sont toutes vraies (qu’en est-il du virtuel aujourd’hui ?). On peut supposer qu’on engloberait maintenant ces pensées sous le concept de « reconnaissance des formes ». Sans reconnaissance de la forme, plus d’idée donc plus de chose. C’est le difficile pari de l’abstraction dans le domaine des arts : réussir à émouvoir sans passer par l’intermédiaire de la forme, du moins connue. Les remarques du public devant des toiles abstraites prennent tout leur sens : Qu’est-ce que ça représente ? Rien et cela devient difficile de se passer des idées pour ne retenir que la sensation brute. La musique y parvient pourtant très bien. Peu importe que Les steppes de l’Asie centrale de Borodine évoque la caravane qui apparaît dans le lointain qui s’approche et s’évanouit à la fin dans les horizons de sables. Borodine aurait pu appeler sa musique Les bateliers de la Volga sans que l’impression qu’elle provoque sur nous ne soit en rien modifiée.
Pour l’image, le numérique et le virtuel changeront certainement la donne, s’ils n’ont pas commencé à le faire. Les idées deviendraient alors des images qui pourraient se passer des choses, en concrétisant alors le rêve des artistes abstraits, cinquante ans plus tard. On n’en est pas encore là et il reste encore difficile pour notre mental de se passer de représentations, à défaut de réalités.
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