27 septembre 2006

Une photo qui change le cours de l'histoire

Le 8 juin 1972, à l’entrée du village de Trang-Bang occupé récemment par les troupes Vietcong, l’armée américaine prend l’initiative d’une offensive, menée par les sud-vietnamiens, qui utilise du gaz au napalm. Le photographe Nick Ut prend ce cliché, publié le lendemain du bombardement et repris par un sénateur démocrate pour demander des aides supplémentaires aux hôpitaux vietnamiens. Cette image incarne rapidement l’impopularité de l’engagement américain au Vietnam (alors que l’avion et le pilote sont vietnamiens). Le photographe reçoit le prix Pulitzer pour cette photo et accède à une reconnaissance internationale.
Les brûlures de cette petite fille, Kim Phuc, bouleverseront le cours de sa vie. Sauvée par le photographe et une équipe de médecins travaillant à Saïgon qui lui donnent les soins nécessaires à son état critique, elle deviendra un emblème médiatique. Symbole de la résistance anti-impérialiste, elle se liera d’amitié avec le premier ministre vietnamien (Pham Van Dong) qui l’enverra dans tous les rassemblements de jeunesse communiste et qui organisera des interviews avec la presse occidentale. Emigrée ensuite au Canada, elle rencontre l’officier américain ordonnateur de l’opération guerrière et, dans un grand élan de bonté largement couvert par la presse, lui accorde son pardon. Elle est nommée, en 1998, ambassadrice de l’UNICEF.
Un ouvrage racontant sa vie a été publié en 1999 par Denise Chong : The girl on the picture (traduit en français).

Cette photo sera jugée trop chargée d’émotion pour l’opinion, et quand on sait que l’opinion peut faire basculer un conflit… (le Vietnam servira d’exemple). Elle marquera le siècle à plus d’un titre mais il reste difficile de lui attribuer la cause du désengagement américain, déjà bien entamé à cette époque :
D’abord elle fera prendre conscience aux sociétés, s'il en était encore besoin, qu’une guerre est sale, que les victimes en sont majoritairement les populations civiles et donc aussi des enfants innocents, otages des décisions prises en « hauts lieux ». Cette image dérange les spectateurs occidentaux en leur renvoyant en pleine face les barbaries dont sont capables leurs armées nationales qu’elles cautionnent pourtant le plus souvent.
Ensuite cette photo marque la fin de la liberté de la presse dans les conflits. Les militaires prennent conscience qu’une guerre n’est pas montrable, qu'on ne doit pas faire vibrer la corde sensible de la pitié et qu’en diffusant des images comme celles-là, les soldats passent pour les exécuteurs des basses besognes, à la botte des décideurs qui ne défendent souvent que leurs troubles intérêts. Les guerres suivantes seront donc sans images et la presse se verra honteusement censurée. Autant d’entorses aux principes démocratiques pourtant fièrement affichés. Guerre des Malouines, guerre du Golfe dont on ne verra que les sacs plastique des militaires morts rapatriés, jamais les horreurs commises sur les populations civiles ennemies, jamais les enfants mutilés, jamais ce qu’on appelle pudiquement les « dommages collatéraux ».

Comment conclure ? En constatant que les images sont parfois jugées trop fortes, c'est-à-dire trop sujettes à réaction et risquent de troubler le fragile équilibre de nos sociétés hyper émotives ? En observant qu’on peut prendre parti pour un conflit sans en assumer les conséquences, même à travers le biais des images ? (Ce serait alors la limite de la démocratie : occulter ce dont on est peu fier pour préserver la cohésion nationale) En regrettant enfin que, dans le cas d’une guerre, le fossé entre la réalité visible (les massacres) et l’idée (le patriotisme) soit si grand que nos dirigeants ont songé à nous éviter d’en tresser les liens ?