13 septembre 2006

Les énigmes d'une photo célèbre

C’est l’histoire d’une image qui a fait le tout du monde, une image symbole devenue très controversée. On en a même fait un livre entier pour répondre aux suspicions insistantes. Le titre qu’on lui donne en général : Le fusillé souriant. Cette photo va bientôt devenir le symbole de la résistance française. Largement diffusée (à la une du Figaro le 3 juillet 1945, manuels scolaires, magazines) elle étonne. D’autant que jamais la provenance du cliché ne soit mentionnée sur les publications. Malheureusement, on n’a pas réussi à se procurer une image de bonne qualité (preuve qu’on ne trouve pas tout sur le net) mais le condamné, croyez-nous, sourit à l’opérateur.

Là réside l’étrangeté de la scène. De plus, il n’a pas la tête recouverte, contrairement à l’usage et se présente devant un peloton d’au moins seize hommes, ce qui fait beaucoup pour un seul fusillé. Alors on s’interroge, on enquête auprès des amis résistants, on reconnaît les lieux et on finit par identifier le fusillé. Un certain Georges Blind, résistant dans le maquis des Vosges. Le cliché est daté du 14 oct. 1944, la scène se déroule dans les fossés de la caserne Friedrich au château de Belfort. Ce qui attire encore davantage le soupçon : on retrouve Georges Blind le 30 novembre 1944 à Blechhammer, une annexe d’Auschwitz. Il mourra quelques jours plus tard, vraisemblablement empoisonné par les infirmiers du camp alors qu’il avait contracté une maladie infectieuse contagieuse. Il n’est donc pas mort fusillé comme sur la photo.

Ensuite, aucune exécution n’est attestée dans les fossés de ce château. On organise une reconstitution, on fouille le sol. Aucune trace de douille. On interroge les amis résistants et on trouve André Hatier, le confident de Blind. Le «fusillé» aurait vécu, selon son ami, un simulacre d’exécution destiné à le faire craquer en trahissant son réseau.

La diffusion maintenant : Le photographe amateur allemand confie sa bobine à la boutique du photographe, au coin de la rue. Celui-ci , ému, conserve des tirages et son fils les montre à La jeune Alsace qui indique « photographie subtilisée à un soldat allemand par un photographe bisontin ». Et ainsi d’archives de journal en agence photographique (Roger-Viollet) cette image devient une référence sans que personne ne sache rien de précis sur les circonstances de la prise de vue.

Voilà comment on peut mener à bien une enquête policière minutieuse à partir… d’une image.

Voilà comment, sans remettre en question la bonne foi de quiconque, une image célèbre et emblématique devient supercherie lorsqu’on gratte un peu sa surface argentique, pourtant tellement chargée de sens et de vérité.