18 août 2006

Ce qui n'a pas d'image n'existe pas


Ignacio Ramonet, dans son ouvrage La tyrannie de la communication, nous met en garde des dérives de la prépondérance du visuel : "La télévision impose... sa fascination pour l'image et cette idée fondatrice : seul le visible mérite l'information ; ce qui n'est pas visible et n'a pas d'image n'est pas télévisable, donc n'existe pas médiatiquement." Avec cette conséquence : "Certaines images sont désormais sous très haute surveillance, ou, pour être plus précis, certaines réalités sont strictement interdites d'images, ce qui est le moyen le plus efficace de les occulter. Pas d'image, pas de réalité."
Une exception cependant : la Guerre du Golfe en 1991 qui a fait dire à Jean Baudrillard : "La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu". Elle n’a pas eu lieu parce que le peu de sens du peu d’images a mis dans l’embarras les commentateurs qui ne trouvaient rien à en dire. On a pu ainsi voir cette scène d’un journaliste, pris au dépourvu, tournant son micro vers le centre de Bagdad, une nuit de bombardements intenses, ne pouvant ajouter que : « écoutez le bruit des bombes ». Elle n’a pas eu lieu parce qu’on n’en a aperçu aucun direct de combats, aucune révélation médiatique. Uniquement des images neutres, souvent d’archives, qui n’illustraient rien de ce qu’on pouvait attendre après une telle publicité. On s’est retrouvé frustrés d’un spectacle grandeur nature si longtemps promis. Et pourtant les morts, on nous en parlait, mais on ne les voyait jamais, on ne savait plus qui croire. Tout le contraire de Timisoara quand on nous montrait des flopées de cadavres mais qui ne correspondaient pas, on l’a su plus tard, aux morts annoncés.
La photo de ce militaire, assis dans le désert, tentant d’établir une communication à l’aide de son antenne parabolique ne se conçoit que dans un contexte imposé. Celui de la guerre, du désert, de la solitude de celui qui cherche le contact. Bref, elle n’a pas de sens en tant que reportage de guerre. Elle aurait pu très bien avoir été prise en temps de paix dans un tout autre lieu. Sans la légende qui l’accompagne (militaire, guerre du Golfe, télécommunication) elle perd son intérêt d’un point de vue informatif. Tout est dit avec les mots, l’image n’apporte rien, elle se referme sur elle-même, elle est caduque, on n’en sait pas davantage sur le conflit. Et pourtant, il s’agit d’une des seules photos d’une guerre occultée par les démocraties qui la dirigeaient.