Le double meurtre symbolique
Jean Baudrillard, dans une conférence à l’Ecole normale supérieure, nous prévient de la destruction réciproque de l’image et du réel dans ce qu’il appelle un double meurtre symbolique : « Aujourd’hui tout prend forme d’image, le réel a disparu sous la profusion des images. Mais on oublie que l’image elle aussi disparaît sous le coup de la réalité. L’image est la plupart du temps dépossédée de son originalité, de son existence propre en tant qu’image, et vouée à une complicité honteuse avec le réel. La violence qu’exerce l’image est largement compensée par la violence qui lui est faite - son exploitation à fin de documentation, de témoignages, de message (y compris les messages de misère et de violence), son exploitation à des fins morales, pédagogiques, politiques, publicitaires..... Là, prend fin le destin de l’image, à la fois comme illusion fatale et comme illusion vitale. »
Ce qui est clair pour le premier meurtre, celui du réel par l’image (nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises et personne n’en doute plus) l’est beaucoup moins pour le second, le meurtre de l’image par le réel. Quand il développe ses arguments, Baudrillard dénonce la sur-interprétation des images, leur signification trop évidente, instantanée, qui leur enlève la part du rêve. C’est ce qu’il appelle « disparaître sous le coup de la réalité », ne pas aller au delà du premier sens, du rattachement au concret. La force d’une photographie serait justement cet aller-retour du spectateur entre le réel et sa représentation qui se doit de rester assez lointaine de l’original (le noir et blanc des galeries d’art). Il remarque que toutes les expériences destinées à augmenter les deux dimensions de l’image (photographies en relief, photographies sonorisées, hologramme, etc.) en sont restées au rang du gadget ou de curiosité. Il constate aussi, de façon un peu paradoxale, que l’image photographique pourrait se passer de réel, mais que nous, les spectateurs, ne le supportons pas. Il prêche donc pour une photographie dans laquelle l’œil chercherait, se promènerait, se garderait d’interpréter, bref, aurait le temps de rêver un peu, plutôt que de se voir imposer un sens immédiat, définitif et réducteur. Photo Herbert List
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