L'image disparaît sous le coup de la réalité ?
Pour reprendre le discours de Baudrillard cette semaine encore, faire le procès au réel pour son meurtre de l’image, c’est peut-être oublier un peu vite que l’image (photographique du moins) est une représentation apprise par rapport à un réel perceptible. L’œil ne voit pas comme on voit des images, pour lesquelles tous les éléments sont sur le même plan, dans un espace fini, délimité par un cadre, et avec des caractéristiques qui ne sont pas celles de la perception humaine (la netteté, le contraste, la profondeur). Dire que l’image disparaît sous le coup de la réalité, c’est regretter que la perception d’une série de taches de couleur puisse être associée à un objet, un personnage, bref à une scène. Le cinéma n’est possible que parce qu’on établit ce rapport entre l’image et le réel et qu’on a pu apprendre toute une série de codes par rapport au temps (le flash back, par exemple) et à l’espace (un personnage qui entre en scène par la droite sort également par la droite, sinon il va ailleurs mais ne sort pas) sans lesquels un film devient incompréhensible. La notion d’image même suppose une culture, c’est à dire une connaissance du rapport entre la perception (mot qu’on préférera à réalité) de l’individu et l’espace fini bidimensionnel comprenant des plages de densités et de couleurs différentes. Comme il est signalé dans le préambule de ce blog, une femme qui n’a jamais vu de photo ne reconnaît pas son fils sur un cliché, un chien ne reconnaît pas son maître. L’image, quand elle est représentation, ne peut pas faire l’économie de la culture qui lui est propre, c’est à dire des codes qui se sont mis en place au fil des siècles par le biais de la peinture, de la photographie, du cinéma et enfin de la télévision. Sans ces codes, on verse inévitablement dans l’abstraction. L’image n’est plus alors, comme le dit Maurice Denis dans sa célèbre définition, qu’ « un ensemble de formes et de couleurs en un certain ordre assemblées ». Si cette définition peut convenir pour les arts plastiques, elle perd sa pertinence dès qu’il s’agit d’image argentique, vidéo ou encore numérique. Il est illusoire de vouloir séparer l’image de la représentation (même si la peinture s’y est employée depuis le XIXème siècle mais il s’agit là d’une démarche intellectuelle didactique), et cette représentation prend sa source dans ce qu’on connaît, c’est-à-dire la perception, ce qu’on peut aussi appeler « le réel ». Photo Laurent Conan : Ports et chantiers navals de Bretagne.
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