04 avril 2007

Restituer les antiquités à leur pays d'origine?


La semaine dernière nous avons vu comment se sont constituées les collections des grands musées européens depuis la fin du XVIIIème siècle. Rapporter de ces expéditions lointaines et dangereuses (beaucoup n’en revenaient pas) ces trésors de l’art a entraîné l’Europe dans un formidable élan. Il faut réaliser ce qu’a pu représenter l’architecture grecque pour les architectes parisiens ou londoniens de cette époque, plus tard ce qu’a pu représenter l’art africain pour les surréalistes, l’art extrême oriental, les expositions universelles. L’Europe prend conscience qu’elle n’est pas la seule civilisation à posséder une grande culture, que les Indiens, les Africains, les Asiatiques ne sont pas des sous-hommes uniquement bons à servir de main-d’œuvre bon marché, quand ce n’est pas d’esclaves, et que ces pays exotiques sont autre chose que des réservoirs inépuisables de matières premières. Il s’est créé dans les grandes capitales européennes un véritable trésor d’art de l’humanité toute entière. Le British Museum, le Louvre, pour ne citer qu’eux, accueillent des millions de visiteurs par an venus des quatre coins du monde. Ils constituent d’extraordinaires foyers culturels et font bien des envieux.
Le point de vue des pays spoliés est bien sûr radicalement différent. Dans certains cas ce sont des figures emblématiques uniques de toute une civilisation qui ont été prélevées (les marbres du Parthénon, les bronzes du Bénin, par exemple) et on parle souvent de pertes irréparables. L’argument de la vente légale n’est pas accepté par les lésés, arguant que cette vente s’est déroulée de façon douteuse, à une époque où l’administration et les contrôles étaient inexistants.
Les musées européens avancent qu’on ne peut pas revenir sur un passé aussi lointain (plus de deux siècles) et qu’à l’époque ces acquisitions étaient légales. On tend à fixer une limite au réexamen des cas litigieux : l’année 1970 (cette limite est surtout valable pour les authentifications).
Il semblerait que chaque camp ait de bonnes raisons de défendre sa propriété, soit nationale pour les uns, en considérant qu’une œuvre créée et utilisée dans un pays appartient à ce même pays, soit mercantile ou culturelle pour les autres, en considérant que les œuvres ont été vendues et donc achetées légalement et qu’elles font partie d’un ensemble artistique constitué depuis deux siècles, vu par des visiteurs du monde entier et qu’il n’est pas question de le démanteler.
On pourrait peut-être trouver un accord qui satisferait tout le monde si les grands musées organisaient des expositions itinérantes, comme cela se fait déjà mais à plus grande échelle, qui présenteraient les œuvres contestées de façon à donner l’impression qu’elles appartiennent plutôt à la communauté du genre humain qu’à une ancienne puissante nation guerrière. Ce ne serait qu’un modeste pas vers une notion de patrimoine universel, qui remplacerait avantageusement celle, héritière d'un trouble XIXème siècle colonial, de patrimoine national.
La semaine prochaine sera consacrée au cas passionnant, litigieux et célèbre des marbres du British Museum (dont vous avez deux exemples en illustration de cet article) qui ont fait couler tellement d'encre depuis plus d'un siècle.