Le star system au cinéma : le rôle de la télévision
Le phénomène « star system » remonte aux années 1920. Il naît de la concurrence des firmes cinématographiques américaines et du constat, par les producteurs, que ce sont les noms, davantage que les histoires, qui attirent les spectateurs dans les salles. Adolphe Zukor a comme devise : “Famous players in famous plays”. (Greta Garbo, Betty Blythe tout comme Rudolph Valentino ou John Gilbert deviennent ainsi rapidement les effigies de toute l’Amérique et étendirent leurs gloires jusqu’aux frontières de l’Europe. Deux caractéristiques dans cette première phase de starification : idolâtrie des héros et inaccessibilité. La star est belle, élégante, séduisante, drôle, vertueuse, sans faille. De quoi faire rêver l’Amérique profonde. Les valeurs véhiculées par le cinéma de cette époque sont le plus souvent celles de l’héroïsme à travers les âges, la bravoure, la franchise.
Face aux foules qui se pressent aux apparitions des monstres sacrés, pas question d’établir un rapport personnel. En dehors des plateaux, pas de télévision pour assurer leur promotion et les acteurs paraissent drapés dans une dignité inhumaine. Le mot même de star (étoile) n’est pas le fruit du hasard : brillant, magnifique, mais tellement lointain, inaccessible aux sphères des mortels. Cet éloignement concoure également à l’idolâtrie qui résiste souvent mal à la proximité.
L’avènement de la télévision changera entièrement la donne à partir des années 1960. Très vite, le petit écran se fait le porte-parole des célébrités et, par là même, établit une relation entre la star et son public. Le locuteur à la télévision, à la différence du cinéma, peut s’adresser au public en le regardant droit dans les yeux. Il s’établit ainsi, pour la première fois, un rapport direct entre le public et ceux qui, jusqu’à présent, jouissaient d’un statut quasi divin, vissés qu’ils étaient sur leur piédestal. Sans toujours réaliser que ce rapport est à sens unique, qu’en se méprenant on peut le croire personnel alors que le locuteur s’adresse à la plus forte audience possible.
Des émissions auront pour but de nous familiariser avec la vie quotidienne de ceux qu’on aura contemplés, en images surdimensionnées dans les salles obscures. Ils nous parleront même. La presse « people » emboîtera le pas et l’idée s’insinuera que, finalement, les stars sont des hommes et des femmes presque comme nous, avec leurs problèmes familiaux, conjugaux, financiers. Ils trahissent même quelques faiblesses, ne se comportent pas toujours irréprochablement. Bref la télévision les humanise en leur tissant une relation de proximité avec le public. C’est ce qui fait dire aux acteurs qu’il vaut mieux parler d’eux en mal que de ne pas en parler du tout. Une star a aujourd’hui besoin, pour exister, d’une présence soutenue à la télévision où elle est présentée en tant que personne indépendante et pas en tant qu’acteur, c’est-à-dire pas comme l’incarnation d’un personnage de film. En cela, l’acteur célèbre rejoint aujourd’hui le présentateur de télévision, tous deux parties intégrantes de notre quotidien. Il fait partie de la famille, on connaît tout de lui : sa femme, ses enfants, son passé, ses douleurs. De plus, son statut d’humain facilitera, pour certains, une nouvelle identification qui n’est plus aujourd’hui exclusivement à base d’héroïsme et de beauté.
Cette condition nouvelle de la star entraîne des conséquences particulières :
D’abord on constate des différentiels de revenus entre acteurs sans commune mesure avec les échelles de talent (à compter qu’elles soient quantifiables).
Ensuite les retombées de la gloire vont bien au-delà du domaine de compétence initial (choix d’une star pour promouvoir une pâte dentifrice ou une automobile). Curieusement, les scandaleux cachets des célébrités provoquent davantage l’admiration chez le public qu’ils ne déchaînent la révolte. Comme si, malgré la proximité et la connivence, le spectateur plaçait encore la star dans une autre sphère que la sienne.
Enfin, peut-être la conséquence la plus significative puisqu’elle touche au jeu et même au cinéma tout entier : le spectateur ne réclame plus à ses acteurs fétiches de jouer le rôle du personnage fictif de l’histoire du film. Il lui demande, au contraire, d’être lui-même, c’est-à-dire de rester dans le rôle du personnage qu’il présente à la télévision quand il ne joue pas. En poussant un peu le paradoxe, on impose aujourd’hui à l’acteur de ne pas jouer, ou plutôt de jouer toujours le même rôle, celui qu’il s’est forgé sur les plateaux de télévision. Le public veut reconnaître sur grand écran ceux qu’il côtoie chaque jour sur son téléviseur… et pas le contraire.
Là se creuse un abyssal fossé (outre les cachets) entre la star et l’acteur non médiatisé qui n’a pas, lui, de rôle « naturel » télévisuel à faire valoir et doit donc coller à chacun des personnages imaginaires qu’on lui propose. Force est de constater, par exemple, que les imitateurs des stars ne caricaturent pas leurs jeux de fiction mais leur rôle de vedettes de télévision.
Nous ne sommes plus au temps où on ne proposait plus à Jean Gabin, à la fin de sa carrière, que des rôles de patriarches têtus et moralisateurs. Un star, aujourd’hui, peut jouer tous les rôles mais sans jamais sortir de sa propre image de protagoniste médiatique, c’est tout ce que les producteurs lui demandent. Et tant pis pour la richesse, la profondeur et la variété des personnages qu’il évoque. D’ailleurs on évalue mal les personnages d’un film dont le casting est « flamboyant » : on n’y remarque plus que les stars qui les incarnent.
Illustration : Greta Garbo (haut) Gérard Depardieu – Le masque de fer (bas)
Cet article est publié dans Agoravox
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