22 juin 2006

Photographie, au singulier ou au pluriel



Régis Debray, dans son essai « Transmettre » (Ed. Odile Jacob) nous dit qu’on ne peut éviter de considérer l’image comme issue d’un produit technique, qu’elle n’est pas une simple création de l’esprit descendue sur terre par hasard :

Pensons, par exemple, dans le domaine supposé homogène de la photographie, au changement d’esprit et de style permis par l’apparition du Kodak léger, maniable, sans pied, puis par le Leica d’avant-guerre. Avec ces appareils sont nés l’instantané, le scoop, l’atmosphère, la street photography, les « images à la sauvette ». La photographie n’appelle pas les mêmes usages sociaux selon qu’il s’agit d’une image de métal, d’un négatif sur verre, d’un papier au gélatino-bromure… d’un polaroïd ou d’une épreuve numérique (en quoi il y a « des » et non « la » Photographie). La matérialité de la prise de vues détermine les opérations du regard.

Il existe des différences encore plus fondamentales qui prennent corps dans le but recherché par la création d’images. Le déclenchement d’un obturateur n’est pas un acte gratuit, dénué de sens. Il y a toujours une raison qui pousse l’opérateur à presser sur le bouton. Mais quelles valeurs communes entre la photo d’un nourrisson, celle d’un Président en visite à l’étranger et celle destinée à une « installation » d’une galerie d’art ? La première souvenir personnel, la seconde information et la troisième esthétisme.

Les photographes ne font pas tous le même travail, loin s’en faut, indépendamment des moyens techniques qu’ils utilisent, qui eux tendent à s’uniformiser avec le numérique. Depuis les années 2000, la majorité des « scoops » ont été assurés par des amateurs armés de téléphones portables ou d’équipements bas de gamme. Beaucoup de créations contemporaines utilisent de simples polaroïds aux couleurs dénaturées qui feraient bondir n’importe quel médiocre technicien.

En conclusion : Photographies, au pluriel certainement,mais pas en raison des techniques utilisées, plutôt à cause de l'usage qu'on veut en faire, du but, conscient ou pas, qu'on se donne en capturant des portions d'espace et de temps. Illustrations Thierry Fournier (gauche) Anonyme (droite)