11 avril 2007

Lord Elgin et les antiquités

Cet article est le troisième et dernier volet du chapitre consacré aux antiquités exposées dans les musées, chapitre quelque peu éloigné des thèmes habituels de ce blog et de l’image en particulier, vous voudrez bien m’en excuser.

Lord Elgin (1766 Londres- 1841 Paris), Thomas Bruce de son vrai nom, est un diplomate et un militaire. Il débute sa carrière très jeune et après quelques années se voit nommé Ambassadeur d’Angleterre à Constantinople. Il a 32 ans et un goût prononcé pour les antiquités. Au gré de ses voyages et de ses rencontres, il se constitue une équipe composée d’artistes (peintres), de techniciens (mouleurs) d’hommes de lois (dont son fondé de pouvoir Lusieri) et d’aventuriers qu’il charge de s’occuper des marbres d’Athènes. Etant parvenu à soutirer un accord aux autorités turques, il fait main basse sur les monuments de l’Acropole :
12 statues du fronton
156 dalles de la frise
15 métopes
La frise du temple d’Athéna Niké
Une cariatide
200 caisses au total sont ainsi prélevées avant que les autorités turques ne mettent fin à ce pillage. Il faut aussi comprendre que pour prélever certaines pièces architecturales sculptées, l’équipe de Elgin est obligée de démonter grossièrement des parties entières du monument, au mépris de toute règle de préservation des édifices.
Le plus étonnant reste que Elgin ne sera passé qu’une seule fois par Athènes, en 1802. En revanche, il voyage fréquemment à travers les îles de la mer Egée où il ne rentre jamais sans quelques souvenirs, statue (Salamine), autel (Délos), avec, et il faut le souligner, la bénédiction des autorités locales (turques à cette époque) et même celle des représentants de l’église orthodoxe.
Ne nous y trompons pas, Elgin est Anglais, il aurait pu être Français, Allemand ou Russe, selon les contextes politiques et le cours des victoires et des défaites militaires. Ces pratiques de collectes d’antiquités, dans une moindre mesure, étaient courantes à cette époque.
Après l’Acropole, Elgin ne souhaite pas s’en tenir là. Il demande à son équipe de “travailler” sur Salamine, Egine, l’Attique, le Péloponèse, les Cyclades. La Grèce se prépare donc à un véritable déménagement de son patrimoine qu’Elgin ne réussira heureusement pas à mener à terme. Tous ses trophées sont exposés chez lui, en Angleterre et certains vont même jusqu’à le féliciter d’avoir fait de Londres “une nouvelle Athènes”.
Pourtant, au sein même de la communauté anglaise de Grèce ainsi que dans les milieux artistiques londoniens, la polèmique s’engage au sujet de cet aventurier. Lord Byron le traitera de «stupide spoliateur, misérable antiquaire aidé de ses infâmes agents» alors que Benjamin West saluera en lui un «bienfaiteur de la nation anglaise, rénovateur du goût». Byron écrit en 1811 The curse of Minerve :
« Nous avons échappé aux ravages du Turc et du Goth
Ton pays nous envoie un barbare pire que ces deux-là réunis ».
Le vent commence à tourner pour Elgin. Ses finances ne suivent plus et il ne parvient pas à rembourser les frais engagés dans ses expéditions orientales. Son bateau privé, le Mentor, coule à Cythère avec 18 caisses de sculptures du Parthénon. Elles seront récupérées, dans les années suivantes par des pêcheurs d’éponges. Ruiné, il souhaite revendre à l’Etat anglais sa collection d’antiquités mais se heurte à de nombreuses suspicions. Les experts de l’époque ne reconnaissent pas la main de Phidias (Vème av. J.C.) mais datent ces sculptures de l’Acropole de l’époque d’Hadrien (IIème ap. J.C.). Les droits de propriétés sont douteux et tout le monde a eu vent des déprédations commises à Athènes. La réputation de l’aventurier est encore ternie par une affaire de vol de documents à un membre, résident en Grèce, de la famille Tweddell. Après des années d’hésitation, le British Museum achète finalement le lot de sculptures en 1816 pour la somme de 35 500 livres sterling.
En 1821 la Grèce, poussée par les puissances européennes dans son combat contre l’empire Ottoman, devient indépendante. Le pays se construit autour de l’idée de la Grèce antique. Après quelques années, Athènes, qui n’est alors qu’un village, est choisie comme capitale emblématique de ce pays neuf. Les premiers hommes politiques ne cachent pas les liens particuliers qu’ils souhaitent tisser entre l’Antiquité et l’époque moderne. On utilise les représentations antiques, les noms antiques, et bien sûr des voix s’élèvent rapidement pour réclamer le retour en Grèce des marbres de l’Acropole considérés comme le symbole national par excellence. Presque deux siècles plus tard, ces revendications demeurent et la plaie n’est toujours pas cicatrisée.
Illustration : Portrait de Lord Elgin (haut), portrait de Lord Byron (bas).