14 février 2007

L'image vérité II : le poids des mots, le choc des photos


Appelons-la comme on veut, la presse à scandale, à sensation, people, ces publications hebdomadaires sont lues par 20 millions de Français. Paris-Match imprime deux fois plus d’exemplaires que Le Monde. Il faut savoir que le public, n’ayons pas peur de le dire, est féminin à 75%, tous niveaux sociaux confondus. Ensuite qu’il est, en rapport à la pyramide des âges, presque représentatif de la population française. Voici pour les plus jeunes (51,5% moins de 25 ans), Point de vue pour les plus âgés (57% plus de 50 ans). Bref, cette presse est lue par tous. Elle ne se conçoit pas sans image fixe et n’est pas encore tellement concurrencée par la télévision qui, pour des raisons historiques de service public, ne s’intéresse pas trop (fort heureusement) à ce créneau-là. Tous les photographes d’agence le disent clairement : «le people, il n’y a que ça qui paie». Toutefois les ventes de ces hebdomadaires ne sont pas stables et varient presque du simple au double en fonction du titre de couverture (Paris-Match : «Mazarine sur le Pont Neuf» 616000 ex., «pilotes français prisonniers des Serbes» 383000 ex.).
Parmi les sujets traités, deux retiennent l’attention par leur succès inaltérable et leur étonnante récurrence : la famille d’Angleterre et la famille de Monaco. A elles deux, elles font une couverture de Paris-Match sur cinq en moyenne, avec des pointes les années fastes (17 couvertures sur 52, une sur trois en 1992). Avec cette presse, on peut parler d’un véritable phénomène social de la fin du XXème siècle.
Le pourquoi de ce soudain engouement pour les vies princières est à chercher dans plusieurs directions :
- Les stars nous sont proches et nous les aimons. «A travers elles, auxquelles nous nous sommes identifiés, nous menons une vie… que nous n’avons pas les moyens de vivre. Il nous manque la beauté, l’argent, la gloire, la force, le talent. Avec elles, nous vivons par procuration une vie interdite, le luxe, le libertinage, le cosmopolitisme, la fête, l’exploit sexuel.» Albert du Roy Le carnaval des hypocrites - Seuil 1997
- S’accommoder d’un manque : «Les médias contribueraient à combler le fossé toujours plus profond entre la multiplication des besoins et la possibilité de les satisfaire» Francis Balle, Médias et Sociétés - Montchrestien 1990
- Certains parlent même de thérapie : «Les craintes et les humiliations, l’agressivité inemployée, la sexualité refoulée y trouvent des occasions toujours nouvelles d’une évasion sans risque, aussi savoureuse que la fiction mais possédant un attrait supplémentaire dans son authenticité […] Toutes les frustrations sociales peuvent être transférées grâce à l’alibi du journal.» Bernard Voyenne La presse dans la société contemporaine – Armand Colin 1966, ou encore : «Elle (la presse people) opère ainsi à la libération de nos propres tendances ; elle nous permet de projeter notre culpabilité sur d’autres. Surtout, elle limite les impulsions agressives.» Roland Cayrol, Les Médias - PUF 1991.

Au premier abord, il semble que la photographie, sans laquelle ces journaux n’existeraient pas, apporte son statut de vérité à des histoires qu’on pourrait croire inventées de toutes pièces. Mais on demeure surpris, en creusant le sujet, de constater que si les images de ces stars se vendent si cher, le public n’a que faire de la véracité des textes qu’on leur adjoint : «Demande-t-il (le public) la vérité? L’expérience montre qu’il ne s’en soucie guère. Les journaux à sensation sont plein d’extravagances, d’élucubrations, de divagations, de contradictions et ils n’en pâtissent pas.» Albert du Roy, ibid. En clair, peu importe que les frasques princières soient avérées, l’important reste que celle qui s’est identifiée à Stéphanie les vive par procuration et que les images simplement suggèrent un monde que la lectrice se construira toute seule.
Comme si l’image jouait un simple rôle d’identification du lecteur (rice), mais qu’ensuite l’histoire devait devenir une pure fiction, verser dans le conte de fées le plus générateur d’illusions, comme si l’imaginaire né à partir des représentations satisfaisait à lui seul une demande d’idolâtrie… comme si, contrairement au slogan de Paris-Match, les mots n’avaient plus vraiment d’importance et que, comme pour les enfants, les images suffisaient à faire rêver.