13 septembre 2007

La Grèce, pays fondateur de la démocratie, s'apprête à voter
















Dimanche 16 septembre, tard dans la nuit, la Grèce saura si le parti de la Nouvelle Démocratie (les bleus) et son président Kostas Karamanlis ont été reconduits pour quatre années supplémentaires ou si le PASOK (les verts), le parti socialiste de Georges Papandreou a repris le pouvoir perdu il y a moins de quatre ans. Les autres partis font de la simple figuration et ont de bonnes chances de rester cantonnés à ce rôle encore longtemps, compte tenu du système politique en vigueur et des particularismes qu’il a générés.

Quelques rappels concernant la Grèce moderne

La Grèce est un pays récent (première Indépendance en 1821). Il a été formé à la suite d’un soulèvement nationaliste favorisé et financé par les grandes puissances européennes de l’époque (Angleterre, France, Russie) qui voyaient là un prolongement romantique à l’Antiquité, la reconnaissance d’une culture dont ils se réclamaient les héritiers ainsi qu’un affaiblissement de l’Empire ottoman.

Il faut remarquer les difficultés que représente la fondation d’un pays à partir de peu. Une première tentative pour instaurer une démocratie à l’image de l’Athènes de Périklès se solde par l’assassinat de Kapodistrias, un aristocrate démocrate, premier gouverneur de Grèce. Réalisant que la démocratie est un apprentissage long et parfois dangereux, l’Europe impose à la Grèce une monarchie en 1833. On va chercher, pour gouverner le pays, un prince bavarois Othon (17 ans), qui se désintéresse de cette terre aride ne comptant aucun ville importante (Salonique n’est pas encore grecque à cette époque), ravagée par le banditisme et la piraterie. Sa première préoccupation sera de constituer une cour digne d’un roi, si oublié soit-il dans cette contrée tellement excentrée, et d’implanter la capitale à Athènes qui n’était alors qu’un village au pied de l’Acropole. De ce Roi, avec l’aide de son Premier Ministre, naquit « la grande idée », référence évidente à l’Antiquité puisqu’il s’agissait de reprendre aux Turcs les territoires historiquement grecs (y compris Constantinople). Othon, jugé piètre politicien, est renversé par un coup d’état militaire (1862).

L’Assemblée Nationale, résultat de la constitution qu’Othon avait fini par accepter (sans toutefois la respecter), élit sous la pression européenne le roi Georges Ier, d’origine danoise, à son tour assassiné en 1913 après un long règne de cinquante ans. Sous son règne naquit l’importance du service public dans un pays peu industrialisé et surtout cette habitude de mettre en poste des individus, non pas en fonction de leurs compétences mais en échange de voix aux élections ou de services rendus. Ce système, apparentée à du clientélisme, se révèle souvent destructeur pour la démocratie et même pour l’Etat puisque les élections deviennent des luttes acharnées dont dépendent les emplois de bon nombre de citoyens. Chaque changement de tendance politique implique un changement d’administration. Ainsi par exemple, entre 1870 et 1875, la Grèce connaît neuf changements de gouvernements engendrant une situation de trouble permanent. Nous sommes à des périodes de monarchies parlementaires souvent houleuses, entachées de coups d’Etats et d’assassinats. Il faut attendre 1924 pour voir proclamée la Première République grecque, faisant suite à une expédition militaire vers Ankara, orchestrée par Vénizélos grisé par la résurgence de la Grande Idée. L’incursion en terre turque se solda par un échec militaire cuisant, entraînant la Grande Catastrophe (incendie de Smyrne et déplacements massifs de populations entre la Turquie et la Grèce). Jusqu’en 1974 la politique grecque sera caractérisée par une grande instabilité, oscillant entre une monarchie contestée et une tendance démocratique toujours menacée de dictature (Metaxas en 1936, Papadopoulos en 1967).

C’est seulement depuis 1974 que la Grèce connaît une véritable démocratie

C’est-à-dire un gouvernement à l’abri des coups d’Etats et des guerres civiles, élu au suffrage universel (indirect). Cependant, à deux exceptions près (K. Simitis de 1996 à 2004 et Georges Rallis de 1980 à 1981) le poste de Premier Ministre est tenu par trois familles historiques. La famille Papandréou (Georges Papandréou, trois fois Premier Ministre de 1944 à 1965, Andréas Papandréou, son fils, Premier Ministre de 1981 à 1990, puis de 1993 à 1996 et Georges Papandréou, son petit fils, actuel candidat), la famille Mitsotakis (K. Mitsotakis, neveu de Vénizélos, Premier Ministre de 1990 à 1993. Sa fille est aujourd’hui Ministre des affaires étrangères) et la famille Karamanlis (Konstantinos Karamanlis, Premier Ministre de 1955 à 1963 puis de 1974 à 1980, Kostas Karamanlis, neveu de Konstantinos, Premier Ministre de 2004 à aujourd’hui et candidat pour un nouveau mandat).

Difficile pourtant de parler de népotisme pour des relations parfois tendues entre les membres d’une même famille et pour des hommes démocratiquement élus même si ce n’est pas directement (par tradition c’est le Président du parti majoritaire qui devient Premier Ministre). Toutefois la politique grecque ressemble beaucoup à une affaire de familles. Les deux partis en alternance au pouvoir depuis 1974, la Nouvelle Démocratie (les bleus) et le PASOK (les verts), ont de bonnes chances de le rester encore longtemps pour la simple raison qu’ils ont fourni un emploi (le plus souvent dans les grandes entreprises publiques) ou un avantage décisif à bon nombre de citoyens qui se trouvent ainsi liés à ces partis par un étrange rapport d’interdépendance. Un petit groupe politique émergent, incapable d’accorder de telles faveurs, se trouve ainsi réduit à la marginalité et au vote de sympathie. D’autant qu’après ces passages répétés d’un parti à l’autre, personne ne croit plus trop à l’argument idéologique et à la bonne foi des candidats qui ont tendance à rivaliser de promesses démagogiques, difficiles à tenir dans la conjoncture actuelle. Le citoyen grec est devenu pragmatique et puisque, au delà des discours, la gestion du pays n’est pas très différente, autant voter pour le parti qui permet de mieux tirer son épingle du jeu. Il faut ajouter à cela que la majorité des citoyens votent dans son village d’origine, là où on connaît personnellement le député candidat. Le système de favoritisme est bien sûr incompatible avec l’anonymat. Tout ce contexte donne aux élections grecques une dimension bien particulière qui déchaîne chaque fois autant de passions.

Nous sommes bien loin de la démocratie athénienne de Périklès

Il faut tout de même rappeler que la démocratie ne perdura que pendant 182 ans à Athènes. Elle ne fut qu’un des systèmes politiques de la Grèce antique. Ce système n’avait pas les faveurs de Platon qui lui préférait l’aristocratie, la timocratie (recherche des honneurs) ou l’oligarchie. Enfin soulignons que la notion contemporaine de démocratie n’a plus aucun rapport avec la démocratie athénienne qui fonctionnait dans l’espace réduit d’une cité (30 000 à 60 000 citoyens). La prise de décision était directe et, quand elle ne l’était pas (la Boulè), les représentants étaient tirés au sort. Que penserait-on aujourd’hui d’une démocratie réservée aux citoyens (le cinquième de la population athénienne), interdite aux femmes et aux métèques (même grecs), demandant une totale disponibilité, plusieurs jours par semaine parfois, pour débattre et voter les lois de la cité ? Que penserait-on si l’accès à la propriété foncière était exclusivement réservé à une caste de privilégiés, si l’économie était basée sur l’esclavage ?

Si la Grèce est bien le berceau de la démocratie, elle est aussi, l’histoire contemporaine l’a montré à maintes reprises, l’exemple de sa fragilité et de ses possibilités de dérives. Difficile, compte tenu de la formidable évolution des sociétés occidentales, de choisir en les glorifiant des exemples aussi lointains pour les appliquer à des pays dont la taille, la culture, la mentalité n’ont plus aucun rapport avec ces communautés vieilles de 2500 ans dans lesquelles on puise ce qui nous arrange en occultant ce qui nous gêne.

Alors dimanche, les verts ou les bleus ?

Illustration : gauche, Kostas Karamanlis, droite, Georges Papandreou

L'article est publié sur Agoravox