26 juillet 2006

Chaises en plastique empilées

C'était difficile, toutes ces couleurs étranges qui évoquaient l'aquarium, les éponges, les lichens. Il s'agissait d'arbres, tout simplement, aux couleurs étonnantes de l'automne, avec un peu d'outil tampon et puis quelques filtres magiques. La scène est très large, prise du versant opposé de la montagne, près de Kalavrita. Personne n'a donc trouvé, certains ont chaudement brûlé.
Cette semaine, du classique, des parallèles, pas d'outil pervers et un objet bien familier. Cela devrait susciter des propositions.

Photos et légendes

La plupart des images possède un petit commentaire, généralement situé en dessous, parfois sur le côté, qui suggère au lecteur une interprétation de l’image qu’il a sous les yeux : la légende, qui fait dire à Pierre Bourdieu : « En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire… Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages. » La photo muette (souvent pourtant avec un titre pour singer la peinture) entre dans la catégorie "Art", pas dans celle de l’illustration, et seulement dans ce cas l’image peut se passer de mots.

On se souvient de la démonstration dialectique de Chris Marker dans son film Lettre de Sibérie : une scène d’ouvriers réparant une route prenait un sens radicalement différent, voire contradictoire, en fonction du commentaire qu’il lui adjoignait. Une photo, prise au Brésil, d’une superbe vieille femme drapée dans une robe d’un bleu éclatant et fumant la pipe s’est trouvée utilisée une première fois, en couleur, par le périodique des producteurs mondiaux de tabac et une autre fois, en noir et blanc, dans une revue de santé pour dénoncer les ravages du tabac chez les personnes âgées. On se souvient des oiseaux mazoutés d’une marée noire qu’on replace pour illustrer une guerre dans un pays producteur de pétrole.

Il suffit de le dire… et l’image prend le sens qu’on lui destine. Les photographes qui déposent leurs travaux dans une agence de photographie sont souvent surpris, parfois irrités, par les légendes qu’on colle à leurs images, choisies par des rédacteurs peu scrupuleux. Et pourtant, ils avaient précisément mentionné les conditions des prises de vues : pays, ville, date, événement, etc. Cela n’empêche pas une photo brésilienne d’illustrer la lutte du peuple noir en Afrique du Sud. Aucune loi ne l’interdit vraiment ? De plus, qui va vérifier la bonne foi d’une image ? Déjà, lorsque le photographe découvre son image publiée (l’agence lui signale), il la reconnaît à peine : recadrée, passée en noir et blanc, imprimée plus ou moins bien, parfois malencontreusement inversée droite gauche. Il faut faire un gros effort de mémoire. Ensuite, qui va se soucier de savoir si le noir qui jette un projectile dans une vitrine se trouve à Rio ou à Soweto ? Qui peut prouver la supercherie ? Le photographe ? Ce n’est pas son intérêt. La personne photographiée ? Qui s’est déjà reconnu, par hasard, dans une scène de rue photographiée ? Qui fera la démarche d’aller déposer une plainte ? Cela s’est déjà produit pour un cas célèbre, une photo de Robert Doisneau : un professeur de dessin, photographié avec son accord au comptoir d’un café en compagnie d’une jolie jeune fille devant un verre de vin, était apparu comme ivrogne dans une brochure pour la ligue contre l’alcoolisme. Et ensuite dans un article où l’image avait pour légende : Prostitution aux Champs Elysées. A la suite de la plainte du professeur, le journal fut condamné, mais pas le photographe, déclaré irresponsable de l’usage qu’on pouvait faire de ses images.

La légende, rien de plus pervers. Elle vous ferait prendre des vessies pour des lanternes et pourtant… quoi de plus frustrant de ne pas savoir, en regardant ce magnifique paysage sur papier glacé, dans quelle région de quel pays la photo a été prise.

sans légende

19 juillet 2006

Forêt du Péloponnèse en automne


Les plantes sur une terrasse, il faut les arroser et l'eau, en s'échappant du pot, entraîne un peu de terre avec elle sur les dalles.
La photo de cette semaine maintenant, la dernière des vacances, est travaillée avec des instruments "créatifs" que l'informatique met à la disposition de chacun pour le transformer en un artiste bourré de talent... quoique sans technique. On peut tout imaginer, en laissant un peu son esprit divaguer, mais le point de départ est bien réel. A vous de le découvrir.

La vue, premier de nos sens

De nos cinq sens, la vue est de loin le plus utilisé. On estime à 80% le nombre d’informations que nous recueillons par le canal de la vision. La lecture, la télévision, les voyages, l’image qu’on donne de soi aux autres, celle qu’ils nous donnent d’eux-mêmes, tout passe par l’œil tant et si bien qu’il est difficile d’imaginer une cécité soudaine. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. L’ouïe a longtemps prédominé et le revirement s’est produit au XIXème siècle. Avant, le paysan ou l’ouvrier lisaient peu ou pas. Sans télévision et cinéma, l’immense majorité de l’information était transmise oralement : la connaissance par l’instituteur et surtout par l’entourage familial puisque la plupart des enfants allaient reprendre le métier de leurs parents, le plus souvent dans le même environnement et avec les mêmes valeurs morales et sociales. L’église était souvent le lieu unique de culture et même de réflexion, surtout dans les campagnes. Le sermon du curé et le son de l’orgue passent par l’oreille. La confession se prive de visuel dans un cérémonial bien étonnant où les protagonistes restent dissimulés l’un à l’autre le temps des révélations pour resurgir à la lumière une fois l’absolution accordée. Les psychanalystes (freudiens) reprirent le procédé en installant le thérapeute derrière son patient. Peu de place réservée aux images dans les missels et même dans les églises, du moins en France. Pourtant les vitraux figurés, les peintures et les sculptures religieuses constituaient l’unique contact de l’individu avec le monde des arts. Pas de peinture profane, en occident, avant le XVème siècle.

Le XIXème bouscule la donne. Les photos s’imposent dans la presse quotidienne avec un statut de preuve irréfutable face aux dérives subjectives des mots. On peut vraisemblablement attribuer la prédominance du visuel dans nos sociétés au développement de la photographie, pas simplement parce qu’elle montre des images mais surtout parce qu’elle se présente comme la vérité, dans un monde chrétien traumatisé par le mensonge. L’image, depuis au moins Saint Thomas (« Je crois ce que je vois »), prédomine sur le mot dès que le doute s’installe. La tradition orale est bousculée par manque de fiabilité (l’homme qui a vu l’ours…). La société migrant d’un mode rural à un mode urbain favorise les contacts entre individus en développant la représentation de soi-même, la séduction et donc la mode. Le « sois belle et tais-toi » illustre bien l’abandon du discours au profit de l’apparence.

Au milieu du XXème siècle, la télévision et ses dérivés de la fin du siècle (ordinateur, vidéo, Internet) viendront parachever le travail pour façonner un individu qui, en abandonnant progressivement ses autres sens, pourrait n’être plus bientôt que visuel… avec une pincée d’auditif et un soupçon de tactile, pour la reproduction de l’espèce.

Illustration : Confessionnal - Jean-Eugène Atget