23 mai 2007

Terrasse d'un café

L'énigme précédente vous a laissés songeurs. Elle a tenu presque toute la semaine et même Ju a séché. Après quelques indices, Mini a découvert le distributeur de billets de banque aux lignes très contemporaines et, faut-il l'avouer, difficiles à décrypter. Plus facile cette semaine, au risque d'une découverte prématurée, pour ne pas décourager ceux qui ont eu du mal les semaines précédentes. Je crois que la solution est trouvable par tous maintenant que vous avez l'habitude de mes morceaux d'objets et de paysages.
Je donne, comme promis, la photo du distributeur en entier, sans faire pour autant de la pub pour la Banque du Pirée. Avec tous les Hooligans de Liverpool qui traînent dans les rues du centre aujourd'hui, jour de la finale à Athènes de la Champion's league, on risque de ne plus le revoir dans cet état-là demain.

Le star system au cinéma : le rôle de la télévision

Le phénomène « star system » remonte aux années 1920. Il naît de la concurrence des firmes cinématographiques américaines et du constat, par les producteurs, que ce sont les noms, davantage que les histoires, qui attirent les spectateurs dans les salles. Adolphe Zukor a comme devise : “Famous players in famous plays”. (Greta Garbo, Betty Blythe tout comme Rudolph Valentino ou John Gilbert deviennent ainsi rapidement les effigies de toute l’Amérique et étendirent leurs gloires jusqu’aux frontières de l’Europe. Deux caractéristiques dans cette première phase de starification : idolâtrie des héros et inaccessibilité. La star est belle, élégante, séduisante, drôle, vertueuse, sans faille. De quoi faire rêver l’Amérique profonde. Les valeurs véhiculées par le cinéma de cette époque sont le plus souvent celles de l’héroïsme à travers les âges, la bravoure, la franchise.

Face aux foules qui se pressent aux apparitions des monstres sacrés, pas question d’établir un rapport personnel. En dehors des plateaux, pas de télévision pour assurer leur promotion et les acteurs paraissent drapés dans une dignité inhumaine. Le mot même de star (étoile) n’est pas le fruit du hasard : brillant, magnifique, mais tellement lointain, inaccessible aux sphères des mortels. Cet éloignement concoure également à l’idolâtrie qui résiste souvent mal à la proximité.

L’avènement de la télévision changera entièrement la donne à partir des années 1960. Très vite, le petit écran se fait le porte-parole des célébrités et, par là même, établit une relation entre la star et son public. Le locuteur à la télévision, à la différence du cinéma, peut s’adresser au public en le regardant droit dans les yeux. Il s’établit ainsi, pour la première fois, un rapport direct entre le public et ceux qui, jusqu’à présent, jouissaient d’un statut quasi divin, vissés qu’ils étaient sur leur piédestal. Sans toujours réaliser que ce rapport est à sens unique, qu’en se méprenant on peut le croire personnel alors que le locuteur s’adresse à la plus forte audience possible.

Des émissions auront pour but de nous familiariser avec la vie quotidienne de ceux qu’on aura contemplés, en images surdimensionnées dans les salles obscures. Ils nous parleront même. La presse « people » emboîtera le pas et l’idée s’insinuera que, finalement, les stars sont des hommes et des femmes presque comme nous, avec leurs problèmes familiaux, conjugaux, financiers. Ils trahissent même quelques faiblesses, ne se comportent pas toujours irréprochablement. Bref la télévision les humanise en leur tissant une relation de proximité avec le public. C’est ce qui fait dire aux acteurs qu’il vaut mieux parler d’eux en mal que de ne pas en parler du tout. Une star a aujourd’hui besoin, pour exister, d’une présence soutenue à la télévision où elle est présentée en tant que personne indépendante et pas en tant qu’acteur, c’est-à-dire pas comme l’incarnation d’un personnage de film. En cela, l’acteur célèbre rejoint aujourd’hui le présentateur de télévision, tous deux parties intégrantes de notre quotidien. Il fait partie de la famille, on connaît tout de lui : sa femme, ses enfants, son passé, ses douleurs. De plus, son statut d’humain facilitera, pour certains, une nouvelle identification qui n’est plus aujourd’hui exclusivement à base d’héroïsme et de beauté.

Cette condition nouvelle de la star entraîne des conséquences particulières :

D’abord on constate des différentiels de revenus entre acteurs sans commune mesure avec les échelles de talent (à compter qu’elles soient quantifiables).

Ensuite les retombées de la gloire vont bien au-delà du domaine de compétence initial (choix d’une star pour promouvoir une pâte dentifrice ou une automobile). Curieusement, les scandaleux cachets des célébrités provoquent davantage l’admiration chez le public qu’ils ne déchaînent la révolte. Comme si, malgré la proximité et la connivence, le spectateur plaçait encore la star dans une autre sphère que la sienne.

Enfin, peut-être la conséquence la plus significative puisqu’elle touche au jeu et même au cinéma tout entier : le spectateur ne réclame plus à ses acteurs fétiches de jouer le rôle du personnage fictif de l’histoire du film. Il lui demande, au contraire, d’être lui-même, c’est-à-dire de rester dans le rôle du personnage qu’il présente à la télévision quand il ne joue pas. En poussant un peu le paradoxe, on impose aujourd’hui à l’acteur de ne pas jouer, ou plutôt de jouer toujours le même rôle, celui qu’il s’est forgé sur les plateaux de télévision. Le public veut reconnaître sur grand écran ceux qu’il côtoie chaque jour sur son téléviseur… et pas le contraire.

Là se creuse un abyssal fossé (outre les cachets) entre la star et l’acteur non médiatisé qui n’a pas, lui, de rôle « naturel » télévisuel à faire valoir et doit donc coller à chacun des personnages imaginaires qu’on lui propose. Force est de constater, par exemple, que les imitateurs des stars ne caricaturent pas leurs jeux de fiction mais leur rôle de vedettes de télévision.

Nous ne sommes plus au temps où on ne proposait plus à Jean Gabin, à la fin de sa carrière, que des rôles de patriarches têtus et moralisateurs. Un star, aujourd’hui, peut jouer tous les rôles mais sans jamais sortir de sa propre image de protagoniste médiatique, c’est tout ce que les producteurs lui demandent. Et tant pis pour la richesse, la profondeur et la variété des personnages qu’il évoque. D’ailleurs on évalue mal les personnages d’un film dont le casting est « flamboyant » : on n’y remarque plus que les stars qui les incarnent.

Illustration : Greta Garbo (haut) Gérard Depardieu – Le masque de fer (bas)
Cet article est publié dans Agoravox


16 mai 2007

Distributeur de billets de banque (détail)

Cela s'appelle "la bouche de la vérité". On place une main dans un orifice (la bouche, justement) et la machine vous prédit l'avenir en lisant les lignes de la main. Le moule de cet étrange monstre semble avoir façonné beaucoup d'exemplaires à travers le monde. Je donne la version complète de l'attraction foraine. La photo représentait un détail de l'oeil et de la narine, à droite.
On change complètement de sujet cette semaine avec une image que je viens juste de prendre, et que donc personne (même Mini) ne connaît. J'ai voulu vous prendre en défaut la semaine dernière sans succès, alors on croise les doigts, on espère que l'énigme tiendra plus longtemps... et puis peut-être que Ju n'aura jamais vu ça, on peut rêver!!!

La violence des images : une continuité historique

La violence est un des sujets majeurs de l’art depuis l’époque chrétienne. Quand l’Antiquité s’y référait en évitant de la représenter (théâtre), le christianisme, en la montrant, cherche à faire partager la souffrance et l’élève au statut de vertu et même de raison d’être, préalable à la libération paradisiaque.

« La violence habite l'histoire de la peinture, de la sculpture. (..) Faut-il rappeler que la civilisation chrétienne s'enracine dans la représentation d'un supplicié ? Et quel supplice ! Que penser aujourd'hui de cette image de torture offerte à tous les regards depuis vingt siècles à travers l'Occident chrétien ? » John Ford : La violence et la loi (Jean Collet – Ed. Michalon, 2004)

« Sans oublier ce goût prononcé pour le martyre, les corps démembrés, l’obsession du cadavre, de la charogne, de la pourriture dans un certain art chrétien, l’accent mis sur la nature excrémentielle du corps, et enfin l’esthétique du supplice et du sang chez les mystiques. Peu de religions ont insisté comme celle-ci sur l’ordure humaine, ont manifesté un tel sadisme de la piété ». L’euphorie perpétuelle (Pascal Bruckner - Ed. Grasset, 2000)

L’entrée de l’image cinématographique et télévisuelle correspond à la déchristianisation de l’Occident. Très rapidement, cet attrait indéniable du spectateur pour la violence se trouve comblé par le cinéma. La représentation de la violence devient incontournable aujourd’hui et fait partie des ingrédients obligatoires d’une grande production internationale. Elle prend même toute la place dans un créneau (peur, horreur, thriller) dont le public ne se lasse pas.

Y a-t-il des raisons d’inquiétude, des justifications de censure ? L’homme serait-il par essence masochiste pour s’imposer ainsi autant d’images qui le perturbent ?

Nous devons d’abord constater que l'image de la vertu ne rend pas vertueux et que celle du crime ne rend pas criminel. Ensuite que le spectateur entretient de curieux rapports évolutifs entre l’image et la réalité. Le numérique, et toutes les transformations inhérentes à cette technique, enlève aujourd’hui à l’image son crédit de vérité. Dans le cas d’une image violente, la sensation devient aujourd’hui indépendante de la projection du spectateur dans un univers tangible. En clair, on souffrira à la vue d’un supplice, sans pour autant croire que quelqu’un l’ait jamais subi. Le risque de cette évolution demeure qu’un doute généralisé s’installe quant à la preuve par l’image, que toute image devienne synonyme de fiction et que toute représentation iconique soit prise pour virtuelle.

Pour M-J. Mondzain, le risque se situe dans la réduction du spectateur au silence. On a ainsi remarqué que les images violentes provoquent davantage de sensations que des images neutres, mais aussi que ces images faisaient réagir ceux qui y sont confrontés, en particulier les adolescents, leur fait même développer de véritables stratégies d’adaptation. Le seuil à ne pas dépasser, selon elle, serait donc celui de l’absence de réaction, de l’inertie qui enlèverait à l’individu toute possibilité de choisir.

Quant aux raisons de cet attrait pour la violence, on peut avancer les hypothèses suivantes :

« Par rapport à toutes les images par lesquelles nous pouvons nous sentir violentés parce que nous perdons nos repères, nous installons le désir de fabriquer des images dont nous soyons les maîtres et dont nous sachions pertinemment là où elles commencent et là où elles finissent, et de quelle façon elles reflètent ou non le réel. Je crois que la question de la violence des images est inséparable de ce pouvoir des images de se donner pour être le vrai, et les êtres civilisés que nous sommes ne sont jamais à l’écart de cette tentation. Il n’existe pas un moment où l’être humain aurait fini avec cette tentation. » Serge Tisseron : Violence des images, images violentes- 27/02/2001

Concernant le dernier point, la généralisation des représentations de synthèse implique que l’image devienne de moins en moins violente puisque assimilée globalement à du mensonge. Là prend sa source le risque d’une dérive. La violence, à travers ses représentations, tendrait à se banaliser et le processus pourrait alors s’inverser : le « tout est vrai » évoluerait en « tout est factice ». Le spectateur en viendrait à ne plus prendre conscience du réel, à ne plus séparer le virtuel des images du monde qui l’entoure. C’est une caractéristique de la pensée schizophrène. Tout est faux, le camarade qu’on frappe dans la cour de récréation ne souffre pas vraiment, le civil qu’on tue à la guerre ne meurt pas vraiment. Les victimes sont comme ces images qu’on peut fabriquer artificiellement avec des pixels et des modèles préconçus.

Pour conclure, si les images violentes, comme il semble probable, sont nécessaires à l’individu pour conjurer ses peurs et se construire lui-même, le phénomène n’est pas nouveau et date des débuts du christianisme. Quant à l’avenir, il serait déstabilisant de ne plus du tout croire en la véracité des images tout simplement parce que cette incrédulité leur enlèverait toutes leurs vertus thérapeutiques et même émotionnelles. Les images nous touchent parce que nous les rapportons à nous-mêmes et à des épisodes de notre vécu, bref à des morceaux de réalités. Il paraît essentiel de conserver ce rapport entre les représentations et une matérialité possible.

« L’image n’a pas d’existence en dehors de la relation que le spectateur noue avec elle. » Serge Tisseron

Illustration : Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne (haut), Image du film « Scream » (bas)
Pour ceux qui souhaitent participer à la discussion, cet article est publié sur Agoravox.

09 mai 2007

"Bouche de la vérité" (détail)

Les commentaires me permettent d'apprendre des mots nouveaux : ShufflePuck par exemple qui était justement la représentation de l'énigme de la semaine dernière découverte par Ju (j'allais dire "une fois encore"...). Et on monte toujours la barre cette semaine avec une image en couleur (pour ceux qui auraient des doutes) d'une bien curieuse représentation abstraite, mais pas tant que ça... Là encore, abandonner le côté sculpture et art contemporain. Non, l'objet a bien une utilité précise et étonnante que je serais surpris que vous découvriez de si tôt. Je préviens que si Ju trouve la réponse dans les deux heures, je m'en vais le montrer aux scientifiques comme phénomène ou alors j'ouvre un stand avec lui à la foire du Trône en proposant au public d'apporter toutes les images, morceaux d'images, images brûlées, déchirées, qu'ils ont en stock... et je prends des paris. Ju trouvera, c'est sûr, et moi je gagnerai la mise.
Et en prime, je donne la vue complète du ShufflePuck, pour ceux qui n'ont pas passé leur jeunesse à se cogner les doigts avec le palet.

Les images subliminales : une tentative d'escroquerie ?

D’abord rappeler ce que sont les images subliminales :

Subliminal : qui est inférieur au seuil de la conscience (dict. Robert). Se dit d’un message construit de manière à atteindre l’inconscient du récepteur.

Une image subliminale est une image qui est indécelable à l’œil nu mais que le cerveau traiterait malgré tout.

On sépare le plus souvent les images de type formel (un mot, une courte phrase) de celles de type iconique (dessin, photo, schéma).
L’image subliminale est basée sur la différence entre le seuil bio-physiologique et le seuil psychologique. Un seul photon est capable de faire réagir les bâtonnets de notre œil alors qu’il en faudra dix pour que l’observateur prenne conscience d’un changement. En bref, pour qu’une image soit vue il faut qu’elle franchisse le seuil de la perception visuelle psychologique. En revanche si les images sont en dessous de ce même seuil le cerveau va tout de même les intercepter.

Le succès accordé à ces images subliminales semble fondé sur l’escroquerie, en 1956, d’un publicitaire. James Vicary, prétendait qu’après avoir projeté, le temps d’un film, à 1/3000 sec toutes les cinq secondes « drink Coca Cola » il aurait augmenté de 57,7% les ventes de Coke. Vicary avait auparavant créé une société « subliminal projection Co » (disparue aujourd’hui) et le rapport entre l’accroissement des ventes (jamais vérifiée par d’autres expériences du même type depuis) et la création de sa société est tellement évident qu’il se passe de commentaire. Les recherches de laboratoire sérieuses sur le subliminal sont très nombreuses ces dernières années, mais elles sont assez vite abandonnées du fait que l’on ne réussit pas clairement à contrôler les variables de ce processus de communication.

Et pourtant les scientifiques sont unanimes : la perception inconsciente existe bien et ses effets sont même mesurables. Mais cela ne veut pas dire que l’on puisse modifier le comportement d’un individu pour autant. Une chaîne canadienne a diffusé 300 fois le message subliminal invisible : « téléphonez maintenant » sans noter une quelconque augmentation des appels sur le réseau après l’émission. On objecta alors que l’action de téléphoner serait trop complexe.


En 1970 l’expérience de Vicary fut refaite par des scientifiques cette fois. Voici leurs conclusions :

- Une stimulation subliminale simple peut contribuer à éveiller un besoin physiologique (une bouteille peut donner soif).

- Les stimulations ne sont pas cumulatives. « Drink » n’ajoute rien de plus à « Coke ».

- La présentation répétée d’une stimulation subliminale n’est pas plus efficace qu’une seule présentation.

Intéressé par l’expérience, un homme de marketing, Hawkins, tenta d’associer un stimulus générique (une action) avec une marque. Il projeta 35 fois les initiales F et L de deux marques de parfum. Ces images subliminales n’eurent aucun effet sur le choix des spectateurs au moment de l’achat.

La loi réprime ces pratiques subliminales. Le décret 92-280 du 27 mars 1992 dit à l’article 10 :

"La publicité ne doit pas utiliser des techniques subliminales".

Les politiques, jamais en reste pour se faire élire, tentèrent d’utiliser ces images pour orienter le choix de leurs électeurs. Deux exemples sont restés célèbres : Mitterrand superposant son portrait sur le logo du journal d’Antenne 2 (fig 1) et Georges W. Bush insérant le mot « rats » (ordures) sur les interventions de Gore son concurrent à la Maison Blanche (fig 2). Mitterrand fut innocenté car l’image durait plus de 1/25ème de seconde (sic) et Bush invoqua l’erreur technique.

Il existe une autre façon de peser sur l’inconscient en insérant sur des images principales d’autres images, secondaires, que l’on percevra sans forcément les voir consciemment. Un exemple célèbre est celui du dessin animé pour enfants Bernard et Bianca (fig 3) qui présentait, à travers la fenêtre d’un bâtiment, une image à caractère pornographique (pour l’époque). Sans bien saisir le but de cette opération nous pencherons plutôt pour une facétie du réalisateur que pour un détournement quelconque. Il se développe même une sorte de paranoïa chez certains observateurs d’images fixes qui décèlent des symboles maçonniques (très bien cachés) sur des images religieuses ou encore des représentations divines sur des détails de peintures de la Renaissance. Mais s’agit-il là d’images subliminales ? Dans la mesure où on peut les découvrir avec un peu d’attention (et les yeux de la Foi) il est difficile de parler de manipulation et encore plus d’escroquerie.

En conclusion nous pensons qu’il est plus raisonnable de se méfier des images perceptibles dont le rôle sur le conscient est souvent déterminant que de dénoncer les modifications que l’on ferait subir à notre esprit par le biais de l’inconscient. Il faut ajouter que le positivisme et la science-fiction ont beaucoup contribué au slogan : « nous sommes tous manipulés par des forces incontrôlables ». L’image subliminale serait devenue le symbole même de cette manipulation alors que ses effets perceptibles sont loin de faire l’unanimité dans le monde scientifique et même publicitaire.
Pour ceux qui sont intéressés par la discussion, cet article est publié sur Agoravox

02 mai 2007

ShufflePuck ou palet sur coussins d'air

Semaine dernière nordique encore une fois avec "La Piscine" de Roubaix, une ancienne piscine reconvertie en musée des Beaux Arts. Les sculptures sont disposées sur un plancher autour du bassin, le tout éclairé aux deux extrémités du bâtiment par des vitraux. L'ensemble architectural a belle allure.
Difficile image aujourd'hui, des reflets de quoi, sur quoi? Ce n'est pas de la décoration mais un objet très fonctionnel qu'il vous reste à découvrir. Je serai très surpris de lire la bonne réponse avant plusieurs jours, mais on ne sait jamais...

Filmer les débats politiques

S’il est un exercice intéressant, d’un point de vue didactique, c’est bien celui des débats de l’entre deux tours de l’élection présidentielle, quand il ne reste plus que deux candidats. Ces émissions ne sont pas nombreuses puisqu’on en compte seulement quatre depuis les débuts de la télévision : deux fois Giscard Mitterrand(1974, 1981), une fois Mitterrand Chirac (1988), une fois Chirac Jospin (1995). C’est un exercice de style pour le metteur en scène qui doit se plier à toutes les règles du débat (et elles sont nombreuses) et en même temps essayer de ne pas trop ennuyer le spectateur avec une réalisation digne des pays de l’Est dans les années 70.

Les candidats, ou plutôt leurs conseillers, ont tout décidé à l’avance :
- Qui seront les journalistes choisis ? Il est étonnant de constater qu’une faible occurrence prend vite valeur de tradition. Le chiffre de deux est aujourd’hui devenu immuable. Un homme et une femme de l’audiovisuel aussi.
- Les journalistes ne poseront pas de questions nominatives et personnelles. Il faut donc oublier les interventions du type : « Et Monsieur X, ne vous avait-il pas vivement critiqué pendant des mois avant de vous rejoindre ? », « Et le premier mai, au stade Charléty, nous n’avons pas vu Monsieur Y, ni Monsieur Z, cela veut-il dire qu’au sein de votre parti… ? »

- La distance entre les candidats (à quelques centimètres près). Deux mètres dans le cas présent

- L’agencement des plans. On ne filme que celui ou celle qui parle. Jamais de plan de coupe (par exemple la réaction de celui qui écoute, son sourire, sa moue.) On considère, en effet, que le plan de coupe annule la parole du locuteur. Le spectateur ne s’occupe alors que de la réaction du personnage filmé et plus du discours. Ces plans de coupe existaient en 1974 et Mitterrand les avaient jugés défavorables. Ils furent donc, à sa demande, supprimés dès 1981.

- Le type de plan (plan américain, plan serré sur le visage, plan plus large pour voir les deux candidats). Serge Moati, pour Mitterrand, insistait toujours sur des plans serrés pour obtenir davantage de relation personnel avec le public.
- L’emplacement des caméras fixes (il y en aura six demain). Pas de travelling, pas de caméra portée. Les conseillers ont déterminé la distance à laquelle leur candidat passait le mieux. C’est une caméra différente qui filmera chacun d’eux. On peut donc se retrouver avec une inesthétique alternance de gros plans et de plans moyens pendant deux heures.

- La place des candidats et des journalistes. On tire au sort. Qui est à droite, qui est à gauche, quel journaliste est voisin de quel candidat ?

- Le décor doit convenir aux deux parties. La table, en bois ou en matériau synthétique, claire ou sombre, etc.

- Le temps de parole qui sera de 45 mn pour chacun, à la seconde près.

- L’éclairage, surveillé par un réalisateur pour chaque candidat qui « assiste » le réalisateur principal.

Que reste-t-il donc pour la réalisation ? Jérôme Revon, grand spécialiste de cérémonies officielles (Césars, Molières, Victoires de la Musique), officiera avec Philippe Désert (A vous de juger, émissions de Fogiel, Denisot) à la décoration. On peut se demander comment, avec de telles contraintes, personnaliser une mise en scène. Comment réussir à rendre attractif, pendant deux heures, un découpage aussi prévisible ?

D’autant que, de l’avis des spécialistes, ce ne sont pas les programmes politiques qui feront la différence mais le côté médiatique des candidats. L’enjeu sera de déterminer qui sera le meilleur acteur, qui passera le mieux, qui glissera la petite phrase dont tout le monde se souviendra (« monopole du cœur », « homme du passif »). Le côté visuel primera donc sur le fond, mais il sera étouffé par les figures imposées. Là réside l’absurdité de l’exercice : savoir que nous sommes en plein dans le show médiatique et pourtant ne pas en utiliser les ficelles. Livrer un résultat brut quand la « communication » devient tellement sophistiquée. Se priver de toutes les fantaisies qu’offrent le direct et le numérique alors que les campagnes électorales ne sont qu’entreprises de séductions et représentations visuelles.

On attend quelque vingt millions de téléspectateurs pour cette grande messe télévisuelle (le record absolu d’audience : football France-Portugal 2006, avec 25,1 millions). L’émission « Loft Story », mise en scène à partir de caméras de surveillance, avait également déchaîné l’audimat. Le football en général, avec ses plans convenus et récurrents, connaît les plus gros taux d’écoute, tous pays confondus. Tout montre que la réalité, filmée en plans fixes, sans artifice et pratiquement sans mise en scène, dépasse l’intérêt de n’importe quelle fiction la mieux conçue et réalisée. La forme deviendrait-elle secondaire ? On nous dit pourtant tout le contraire pour la politique. Ou alors, lassé des histoires qu’on lui raconte, le public réclame de l’événement, « en temps réel », du suspens « live », où tout peut arriver. Le football, un débat politique, des hommes et des femmes enfermés dans un appartement… pourvu qu’il se passe quelque chose et qu’on soit là, présents pour le voir.

Illustration : débat Giscard Mitterrand 1974 (en haut), 1981 (en bas)
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