Pot en plastique sur une terrasse après arrosage
Roland Barthes publie en 1980 La chambre claire (éd. Gallimard Seuil). Il est surprenant que cet ouvrage, pourtant maintes fois critiqué sans ménagement (Le mystère de la chambre claire – Serge Tisseron – 1996 éd. Les Belles Lettres), reste encore une référence. Il suffit de lire des essais sur la photographie, des articles dans des revues spécialisées ou encore des sites Internet consacrés aux images pour mesurer l’importance de cette chambre claire dans les réflexions, 25 ans après sa publication.
Et pourtant… Barthes qui vient de perdre sa mère parle souvent à la première personne quand il écrit : L’image, pour moi, est fondamentalement douloureuse, ou encore : Cette chose un peu terrible qu’il y a dans toute photographie : le retour du mort. Et là, on mélange tout. Les souffrances personnelles et les états d’âme d’un auteur médiatisé sont pris pour un discours théorique sur l’image. On s’y reporte constamment, surtout dans des milieux pseudo intellectuels pour qui quelques penseurs généralistes ne peuvent énoncer que des vérités universelles, même lorsqu’ils évoquent des expériences personnelles qu’on assimile alors à des discours doctrinaux. Serge Tisseron écrit : Mais ses propres réserves (celles de Barthes) n’ont malheureusement pas empêché qu’après lui, ce point de vue soit érigé en théorie absolue de toute photographie.
Considérons un des grands axes de la pensée « barthienne » : la photographie est un message sans code. Il suffit de se placer à la sortie d’une développeuse automatique, dans une grande surface (75 milliards de photos prises par an), pour se rendre compte à quel point les images se ressemblent tant elles sont codées. Voyages : mari, femme devant les monuments, regards fixés sur l’appareil, plans très larges pour tenter de tout intégrer à l’image. Ou encore, plus original, le touriste qui soutient la tour de Pise pour lui éviter de s’écrouler (image requérant de pencher l’appareil pour que la tour paraisse vraiment instable) ou encore celui qui place sa tête sur la statue de l’Empereur romain acéphale. Du sujet au cadrage, tout n’est que convention : personnages en pied vus de face, événements heureux, représentation du sujet à son avantage, sourire, habits du dimanche d’autrefois. Même la technique ne fait pas exception, quand on sait que le contraste utilisé pour les rendus photographiques est deux fois supérieur à celui du sujet. Le seul instant où la photographie pourrait être, comme le propose Barthes, un message sans code est celui du temps de la prise de vue, de la transmission mécanique du sujet vers l’image. Mais ce temps-là est-il vraiment important vis-à-vis de la création ? Et toute photographie en est une. La photographie est, ou peut être, une activité purement cérébrale. Ed. Weston – Journal Illustration : anonyme – légende : heureusement que je suis arrivé à temps
Régis Debray, dans son essai « Transmettre » (Ed. Odile Jacob) nous dit qu’on ne peut éviter de considérer l’image comme issue d’un produit technique, qu’elle n’est pas une simple création de l’esprit descendue sur terre par hasard :
Pensons, par exemple, dans le domaine supposé homogène de la photographie, au changement d’esprit et de style permis par l’apparition du Kodak léger, maniable, sans pied, puis par le Leica d’avant-guerre. Avec ces appareils sont nés l’instantané, le scoop, l’atmosphère, la street photography, les « images à la sauvette ». La photographie n’appelle pas les mêmes usages sociaux selon qu’il s’agit d’une image de métal, d’un négatif sur verre, d’un papier au gélatino-bromure… d’un polaroïd ou d’une épreuve numérique (en quoi il y a « des » et non « la » Photographie). La matérialité de la prise de vues détermine les opérations du regard.
Il existe des différences encore plus fondamentales qui prennent corps dans le but recherché par la création d’images. Le déclenchement d’un obturateur n’est pas un acte gratuit, dénué de sens. Il y a toujours une raison qui pousse l’opérateur à presser sur le bouton. Mais quelles valeurs communes entre la photo d’un nourrisson, celle d’un Président en visite à l’étranger et celle destinée à une « installation » d’une galerie d’art ? La première souvenir personnel, la seconde information et la troisième esthétisme.
Les photographes ne font pas tous le même travail, loin s’en faut, indépendamment des moyens techniques qu’ils utilisent, qui eux tendent à s’uniformiser avec le numérique. Depuis les années 2000, la majorité des « scoops » ont été assurés par des amateurs armés de téléphones portables ou d’équipements bas de gamme. Beaucoup de créations contemporaines utilisent de simples polaroïds aux couleurs dénaturées qui feraient bondir n’importe quel médiocre technicien.
En conclusion : Photographies, au pluriel certainement,mais pas en raison des techniques utilisées, plutôt à cause de l'usage qu'on veut en faire, du but, conscient ou pas, qu'on se donne en capturant des portions d'espace et de temps. Illustrations Thierry Fournier (gauche) Anonyme (droite)
Depuis que le monde est monde, l’homme, sans cesse poursuivi par l’idée de l’absence des proches disparus, a tenté d’en fixer les traces. Sans vouloir se résoudre à leur perte, il utilisa des représentations réalistes de l’instant même de leur trépas.
Après une longue tradition depuis l’Egypte antique et les masques mortuaires (sûrement davantage destinés à la transition dans d’autres sphères qu’au souvenir), le moyen âge avec les gisants et les transis (l’article de la semaine prochaine leur sera consacré), la société européenne connut une mode consistant à photographier le défunt sur son lit de mort (cf. Proust article précédent), moyen peu onéreux de fabriquer un masque funéraire réservé, lui, aux grands de ce monde (Victor Hugo, Napoléon). Là encore, comme pour le portrait, la photographie démocratise un usage réservé à l’aristocratie.
Le musée Grévin est inauguré en 1882. Son concepteur, Arthur Meyer, est journaliste au « Gaulois ». Il veut présenter en trois dimensions les personnages exposés en couverture de son journal. Pas encore question de leur mort mais il est aisé d’imaginer comment il convaincra Grévin d’investir une partie de sa fortune dans cette coûteuse opération. Le XIXème siècle veut se souvenir et le formidable essor des techniques lui en donne les moyens.
Chaque fois qu’on invente une nouvelle machine optique, le premier pouvoir dont elle est créditée est, justement, de rendre visible l’invisible. Quels manques plus cruels et quoi de plus invisibles que les chers disparus ? Les médium recourent à la photographie du défunt avec qui on tentera de communiquer, par spiritisme. Il est étonnant de constater que la coutume de photographier des morts est apparue dès la naissance de la photographie. Elle n’a pratiquement plus cours aujourd’hui, associée au malheur dans un monde occidental qui cherche à gommer tout ce qui peut l’éloigner du plaisir, où seul le souvenir heureux mérite d’être cultivé.
Il est difficile aujourd’hui de croire que l’image des défunts, photographiés de leur vivant, a conféré à la photographie au XIXème siècle un statut de sorcellerie, capable de faire surgir les fantômes de l’au-delà, statut dont elle eut bien du mal à se débarrasser par la suite. Eric Aupol, photographe, écrit aujourd’hui : « La magie de la photographie, c’est ce sentiment physique d’être face à des fantômes ».
Bien qu’héritier de Baudelaire, Proust colle des références photographiques dans toute son oeuvre : « l’instantané », « la pose », « le cliché », « la chambre noire » reviennent régulièrement. Brassaï décèle chez lui une double lutte, commune à celle du photographe : contre le temps avec le « désir immémorial d’arrêter le temps » et avec lui en se référant toujours à la durée et à l’éternité.
Proust, bien que fasciné par ce fantastique instrument d’enregistrement en plein essor le méprise, en même temps qu’il s’y réfère au quotidien, comme tous les artistes et intellectuels jusqu’aux années 1930. Il assure la transition entre le monde des mots et des pensées, celui des romantiques, et le monde des images qui ne nous a plus quittés depuis. Cocteau demanda à Man Ray, qui rechigna, de faire le portrait de son ami écrivain sur son lit de mort… pour la dignité de la photographie.
La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n'existent plus. (A l’ombre des jeunes filles en fleurs)
Tout le monde a trouvé, le premier jour même. Vous gachez le métier. Alors cette semaine, avec de l'avance, je ne dis rien à personne et je montre une image sans indice. C'est une photo brute, sans superposition ni bidouillage Photoshop. A vous de faire travailler vos cerveaux fertiles.
Balzac, selon Nadar qui en fit le portrait, croyait que l’homme, comme l’oignon, possédait plusieurs enveloppes qui l’entouraient et qu’une d’elles disparaissait chaque fois qu’on le photographiait. Il ne fallait donc pas en abuser… Trois photographies seulement de Balzac sont connues aujourd’hui.
Flaubert n’accordait aucune valeur sentimentale à la représentation photographique. Il écrit à une amante : « [...] ne m’envoie pas ton portrait photographié. Je déteste les photographies à proportions que j’aime les originaux. Jamais je ne trouve cela vrai [...]. Ce procédé mécanique, appliqué à toi surtout, m’irriterait plus qu’il ne me ferait plaisir. Comprends-tu ? Je porte cette délicatesse loin, car moi je ne consentirais jamais à ce que l’on fit mon portrait en photographie. »
Baudelaire ardent combattant de l’image argentique lui reconnaît toutefois une valeur de mémoire, rien de plus : « Qu’elle (la photographie) sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous ! ».
Pour résumer, au dix-neuvième siècle, la photographie peut s’avérer dangereuse pour la santé mais surtout étouffe le songe, tue la fantaisie en fournissant des représentations trop précises et mécaniques qui n’évoquent plus rien. Le « vrai » de Flaubert ne peut être une copie. En revanche, le portrait peint a une âme. Bien que moins fidèle il évoque davantage de sentiments. Il suscite plus qu’il ne montre. L’objectivité n’a pas, chez les romantiques, valeur de sensations. La peinture s’était déjà, à cette époque, affranchie de la ressemblance. La photographie pas encore.
Aujourd’hui, force est de constater que beaucoup de photographes, tout comme Flaubert, n’attachent aucune valeur fétichiste à leurs images. La photo des êtres aimés est très peu présente dans leur foyer ou leur portefeuille. Et comme le portrait peint a pratiquement disparu, il leur reste les souvenirs dans la tête pour attiser les sentiments.
C’était trop facile pour certains qui l’ont utilisé pendant de longues années. Le projecteur de diapos Carousel, apparu en 1961, marqua l’audiovisuel de toute une génération. Il avait la particularité de fonctionner en boucle, chargé de 80 diapositives, et ainsi d’éviter une intervention manuelle lors d’une exposition ou d’une animation permanente par exemple. Equipé d’une seconde lampe à changement instantané, d’un gros ventilateur, assez bruyant mais évitant toute surchauffe, il devenait l’incontournable accessoire de toute présentation imagée. Bravo à Kyros qui, sans faire partie du sérail de l’audiovisuel, a trouvé le premier. Les professionnels ne sont pas intervenus dans les commentaires pour ne pas fausser le jeu. La photographie de cette semaine est ouverte à tous, sans favoritisme. Qui découvrira le secret de cette sculpture abstraite ? C’est assez facile et je ne donne donc aucune indication.
C'est Kyros qui a trouvé la photo de la semaine dernière, mais... je ne me souviens plus... peut-être l'ai-je aidé quand il est passé dans mon bureau pour bidouiller l'ordinateur. Original le défilé des Evêques (en violet), façon Fellini Roma. En revanche Barcelone joue en bleu et rouge, pas de violet donc. Mini Véga n'est pas une spécialiste de foot. La photo est floue par inadvertance, pris avec un Coolpix (bien vu le pro)avec une pose trop longue et donc du "bougé".