"La piscine" de Roubaix
D’abord il faut noter le côté fuyant des « personnalités » qui se succèdent autour de la table semi-circulaire (pour laisser l’autre moitié aux caméras). Quelqu’un arrive, parfois sans qu’on l’ait vu venir, sans être annoncé (ou annoncé plus tard) et prend la place de quelqu’un d’autre, déjà parti en catimini, sans qu’on en soit informé davantage. En résumant, plan de la caméra sur la droite, quelqu’un parle, contrechamp à gauche, ce ne sont plus les mêmes… et ces nouveaux n’arrivent pas à suivre la conversation : euh… je ne sais pas, je n’étais pas là lors de l’intervention de M. XXX. Le phénomène est d’autant plus surprenant que, dans certains cas, il semblerait que s’instaure un débat passionné. Le temps que le thermomètre monte et un des protagonistes s’est envolé. Où ? A côté, sur France 3 par exemple (le zapping le confirme) ou encore sur une radio périphérique, au « QG de campagne ». Il est clair que ces hommes politiques ont été désignés pour occuper le terrain « télévision » et que leur rôle consiste à apparaître le plus souvent possible sur tous les fronts. Quelques plans de coulisse pour rompre la monotonie visuelle : arrivée au studio des politiques (les plus connus), maquillages hâtifs, pour bien marquer le côté improvisé et « en direct » de l’émission. Reste à savoir si les intervenants sont invités, s’ils viennent d’eux même avec leur statut de « personnalités » et si certains (pas assez médiatisés) sont refoulés aux portes du studio.
Ensuite, la « règle de ces émissions » (dixit le journaliste de FR2) serait de couper la parole à un intervenant pour montrer des images de l’extérieur. La plupart du temps, c’est le correspondant au QG de campagne qui demande la parole : « nous attendons M. XXX d’ici une demi-heure maintenant ». Voilà l’information. Ce journaliste, face à la caméra, le micro à la main, est filmé avec des militants en arrière-plan, ravis de profiter de l’occasion pour être « vus à la télé », gesticulants en espérant qu’un cousin, un ami peut-être, les reconnaîtra.
On repart sur le débat laissé en suspens, avec d’autres acteurs cette fois, puisque certains élus ont profité de l’occasion pour s’éclipser.
Une fois que le candidat a (enfin) terminé sa déclaration d’après « premières estimations» (autre rituel), les intervenants, dans le studio, sont encore coupés par « le départ des candidats du QG ». Là aussi, ce sont des images de l’extérieur. Le candidat monte dans une voiture et disparaît dans la nuit. Autre information essentielle. Pas de déclaration, une ombre, à peine reconnaissable, dans un éclairage public de rue.
Il y a ce qu’on n’a pas assez vu : un analyste politique présent et bien discret, un représentant d’institut de sondage bien peu loquace (et pourtant les sondeurs se sont, une fois de plus, tous trompés sur le vote FN, dans l’autre sens cette fois). Le Premier Ministre en fonction, les anciens Présidents ne sont jamais apparus non plus. Aucun représentant de la « société civile ».
Il y a ce qu’on a trop vu : les quelques personnalités qui passent leur soirée à se déplacer d’une chaîne à l’autre, les QG de campagne (avec des plans très médiocres, sans éclairage spécifique, souvent à contre-jour, destinés à relater une ambiance, tant et si bien qu’on ne distingue pas un lieu d’un autre), et les journalistes du studio de la chaîne qui confondent leur rôle de médiateurs avec celui de protagonistes.
L’action des deux journalistes de la chaîne est double : interrompre la discussion quand les événements l’imposent (comme on l’a vu). Mettre de l’huile sur le feu en lançant des questions supposées gênantes ou capables d’enflammer le débat : « Au vu de votre score peut-on se poser la question de la disparition de votre parti ? », « A qui donnerez-vous vos voix, tellement convoitées, au second tour ? », « Votre leader donnera-t-il des consignes de vote ? ». Mais les réponses n’ont pas le temps de se développer. Nouvelle interruption pour une liaison avec un QG de campagne. Et ainsi de suite pendant trois heures…
Dire que la politique est devenue spectacle est aujourd’hui un lieu commun. Le risque qu’encourt maintenant l’information est celui de l’absence totale de fond pour ne plus conserver que du visible et de la séduction : disparition de la réflexion au profit de la création artificielle d’un pseudo événement visuel capable d'émouvoir un large public. Un ministre l’a très bien exprimé dimanche soir, sans y trouver motif à critique : « XXX a fait une très bonne campagne, il a réussi à capter l’intérêt du citoyen en parlant de ses problèmes ». Rapprochons cette remarque de cette réflexion sociologique : « Les médias doivent prouver à la fois qu’ils sont crédibles dans leur façon de rendre compte de l’information, et qu’ils arrivent à concerner, à capter leur public. Or cela se fait par une mise en scène de l’information appropriée qui tient plus de la séduction que de la persuasion » (La parole confisquée- P. Charandeau, R. Ghiglione, Dunod 1997).
Les intérêts politiques et médiatiques convergent irrémédiablement. La maladie qui consiste à vouloir plaire à tout prix au plus grand nombre se serait donc répandue. On parlera uniquement du citoyen et de ses problèmes personnels puisqu’il ne s’intéresse plus qu’à lui-même (qui fait la poule…). On passera sous silence tout ce qui n’a plus de rapport direct avec l’électeur : l’international (trop lointain), la politique économique (trop technique), le choix de société (trop abstrait). Les images ne servent plus qu’à représenter les acteurs médiatisés de la vie politique, et peu importe finalement leurs discours. Les compétences s’effacent devant les notoriétés et les images des protagonistes. Pour acquérir cette notoriété, il est essentiel d’être vu le plus souvent possible, peu importe la raison. Il est impératif de faire partie du quotidien affectif de chaque (télé)spectateur en s’assurant une présence quasi quotidienne à la télévision et dans les journaux. L’information perd alors sa teneur. Il s’agira simplement de montrer le sujet médiatisé (le départ en voiture du candidat, par exemple), rien d’autre. On a dissocié l’image de son sens, quand elle en a un. Mais, de plus en plus, elle n’en a plus et l’unique intérêt consiste à reconnaître celui ou celle dont on nous matraque le visage au quotidien. Et gare à celui qui ne réussira pas à « capter l’intérêt » . Ce serait fatal pour un média et même aujourd’hui pour la politique.
Par ces temps d’élections, il a semblé intéressant de comparer les différentes images que souhaitent donner les candidats d’eux-mêmes à travers les doubles pages A4 (suivant les réglementations) qu’ils envoient à tous les électeurs français. Nous nous sommes limités aux quatre principaux, supposés recueillir, ce dimanche 22 avril, la majorité des suffrages électoraux.
Commençons par la dame. C’est un événement dans nos institutions : une femme a la possibilité d’accéder à la présidence. C’est sa première candidature. Le texte nous gratifie d’un jeu de mot qui accentue la féminité de la candidate en accordant sa fonction avec le genre grammatical du pays : « La France Présidente » (trois majuscules). « Le changement » comme slogan, le thème principal qui a porté Mitterrand au pouvoir en 1981, repris depuis par la quasi-totalité du monde politique, toutes tendances confondues. Il est présenté en contrepoids au nom de la candidate. En bas à droite les trois logos, très discrets, des trois partis représentés (Parti Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, parti Radical de gauche).
Jean-Marie Le Pen se distingue de ses adversaires par une affiche pliée que l’on doit ouvrir pour, aussi bien voir sa photo(au recto) que lire le texte (au verso). Moins de mots que les autres, une plus grande image du candidat, cadré beaucoup plus large. Une phrase écrite à la main attire l’attention par son originalité : « Vive la Vie ». Pas de slogan sur la première page, uniquement « VOTEZ LE PEN ». Un gros logo en bas à gauche « LE PEN président 2007 ». L’homme est souriant, la main gauche (avec alliance) tendue vers le lecteur, comme un signe de rapprochement souhaité, on distingue mal ses yeux. Des couleurs neutres, aucunement marquées (comme le seraient le bleu blanc rouge). Un fond suggérant une foule, très floue. On peut deviner un net désir de gommer tout caractère extrémiste. Le candidat se veut « de rassemblement populaire » et souhaite évincer toute peur, dérives racistes et xénophobes qu’il pourrait susciter. Plus aucune référence à une quelconque discrimination ou encore aux autres thèmes récurrents de l’extrême droite (la sécurité a presque disparu). La seule note nettement frontiste est à la fin du texte : « Je serai le défenseur de la France et des Français d’abord. »
François Bayrou ne sourit pas. Il est accoudé, une main sur l’autre qui laisse voir son alliance. Chemise à rayures bleues ciel, costume sombre. Les yeux dans ceux du lecteur. Image composée sur la diagonale haut gauche-bas droite. Ecriture à la main, « vivre ensemble », un slogan « la France de toutes nos forces » à la limite du jeu de mots. Plan américain, le fond de ciel rappelle le bleu de la cravate. Aucune référence à l’UDF, ni sur l’image, ni dans le texte. Un « je » omniprésent au début de chaque paragraphe. Faire passer le message d’une nouvelle façon de considérer la politique tout en conservant les valeurs traditionnelles (famille, terroir, etc.).
« ENSEMBLE tout devient possible » nous dit Nicolas Sarkozy. L’homme est presque souriant. Il l’est davantage à l’intérieur sur de petites images mais force est de constater que son grand sourire n’est pas très photogénique. Il n’a donc pas été retenu pour les vues principales. Costume sombre, légion d’honneur à la boutonnière, dominante bleue avec un morceau de vert en bas à droite, détourage visible du personnage, cadrage plan américain. Pas de logo, pas de référence à l’UMP. Des mots forts : « valeur travail », « nouvelles protections », « Etat fort et impartial ». Insistance sur la « confiance » et la « sincérité ». Soulignement de l’absence de « mensonge » et de « trahison ». Pour lui aussi, tous les slogans du texte sont précédés de « Je », comme préambule à toutes les phrases. Le candidat mise sur un pouvoir fort, centralisé sur sa personne, pari qui ne peut se gagner qu’avec une confiance (le mot revient souvent) indéfectible des citoyens.
Quels enseignements pouvons-nous tirer en comparant ces dépliants publicitaires ?
D’abord les photos :
Ces élections marquent la disparition des symboles dans les images. Nous sommes loin du clocher de village de Mitterrand ou du pommier de Chirac. Les seuls signes, bien discrets, sont les alliances au doigt et une microscopique légion d’honneur. Disparition également des couleurs trop liées à des partis (sauf pour le PS). Pas de rouge pour l’UMP ou de bleu-blanc-rouge pour le FN, un vague rappel orange dans les lettres pour l’UDF. Aucun candidat ne tente la moindre audace quant au message visuel. La photo de Ségolène Royal est même délibérément passéiste (Noir & Blanc, retouche, absence de contexte vestimentaire). Les photos de Sarkozy et Bayrou se ressemblent étrangement : même composition, mêmes couleurs dominantes, même costume, même fantaisie dans les chemises et cravates, même cadrage, même point de vue. Ségolène Royal et J. M. Le Pen présentent les images les plus différentes, tant par le cadrage que par la texture avec un net parti pris de modernité chez Le Pen et de nostalgie chez Ségolène. Les quatre candidats font tous face au lecteur, les yeux rivés sur lui.
Les textes ensuite :
Beaucoup de points communs donc entre Sarkozy et Bayrou dont on soupçonnera que les conseillers en communication puissent sortir du même moule. Un étrange pari de Ségolène Royal qui, en rompant avec une communication d’école, tient à rassurer en misant sur le passé, tant pour l’image que pour le slogan tout en effaçant son ego derrière un discours plus collectif. Un revirement de Le Pen qui s’applique à ne plus faire peur en présentant de lui-même une image respectable, largement populaire, sans écart de langage et plutôt moderne.
Il restera difficile, le dimanche 22 avril au soir, de déterminer quel aura été le rôle de la communication dans les résultats du scrutin. Il semble pourtant évident qu’il va crescendo au fil des années pour même devenir fondamental avec la disparition des idéologies. On saura bientôt lequel des quatre candidats aura fait le meilleur choix en s’adressant à la population.