26 mai 2006

Trop d'images tue l'image

Pour la photo précédente ceux qui ont pensé à l’Institut du monde arabe avaient raison. Mais toutefois la photo est à l’envers, histoire de créer un peu de mystère, sinon c’était trop facile vous en conviendrez.
La photo de cette semaine est plus difficile. Parmi les cobayes interrogés, un seul a donné la bonne réponse, mais il ne le sait pas. Il s’agit, là encore, d’une photo brute, sortie telle quelle de l’appareil numérique et sur laquelle aucune intervention n’a été opérée.
Les indices peuvent se résumer en deux mots : festif et caché.
A vous de jouer. Réponse vendredi prochain.

« Trop d’images tue l’image » ou de l’incohérence de discours intellectuels.
C’est un lieu commun qui ressort régulièrement chez les penseurs : on vit entouré d’une avalanche d’images qui nous submergent au point qu’elles se vident de leur sens. Edgar Morin parle « d’obscénité » lorsqu’on dépasse la dose acceptable de visible. Baudrillard a sûrement raison quant au désir qui ne peut s’épanouir dans une totale visibilité, qui doit conserver sa part de mystère, de séduction, de non dit et de non vu.
Mais l’étude de l’histoire byzantine nous enseigne ceci : Les iconoclastes de Byzance, ceux qui oeuvraient pour la destruction des images, allant même jusqu’à persécuter leur détenteurs, les massacreurs des œuvres antiques, ne toléraient que quatre représentations (dont la croix et l’eucharistie), et par la suite plus qu’une seule : l’eucharistie (une représentation qui n’a pas forme humaine). Il faut reconnaître, à leur décharge, que la piété avait pris des proportions inquiétantes. Les « iconodoules » (étymologiquement esclaves des images) confondaient allègrement les objets et leurs représentations. Jugez plutôt :
"Des formes de culte les plus diverses et curieuses commencent à pousser de manière débordante. Des images sont apportées en procession, elles sont lavées liturgiquement, encensées, baisées et ointes. Elles sont vêtues et choisies comme marraines. On jure par des icônes. Des images ressuscitent des morts, guérissent des malades, font des exorcismes et donnent le bonheur d’avoir des enfants. Elles font sécher la main d’un criminel. Elles saignent quand elles sont touchées" [Beck 1980: 68-69].
Face à ces débordements, on avait donc fixé une limite très basse aux représentations, en supposant que l’imagination serait bien préférable au « trop montré ». C’est cela qu’ils professaient les iconoclastes byzantins, voués pourtant aux gémonies par tout penseur contemporain éclairé : la représentation fait perdre de sa force à la chose représentée (surtout quand elle est d’essence divine). A peu près ce que disent aujourd’hui nos penseurs de l’image. L’ambiguïté revient à déterminer quelles limites on se donne… et aussi qui va décider ? Il est sans doute évident que trop d’images tue l’image, mais qui osera réglementer le sens du petit adverbe « trop ». Ces mêmes intellectuels devraient aussi nous dire, dans notre époque de mondialisation et de libéralisme, d’Internet et de pornographie, qui se chargera de la censure ?

23 mai 2006

Sur les bords de Seine

Euro-vision sans visage

La photo de la semaine dernière représente une superposition de vagues se fracassant sur des rochers un jour de tempête dans les Cyclades (Grèce). De nombreux petits bouts d'image (plus de 200) ont été collés, en les faisant tourner, en choisissant le lieu opportun de la surface de la photo pour donner un résultat presque abstrait.
L'image de cette semaine n'est pas trafiquée. Il s'agit d'une seule photographie brute prise à Paris sur les bords de la Seine. A vous de trouver où. Plus généralement, pour ceux qui ne connaissent pas bien Paris, de trouver ce qu'elle représente.

Euro-vision sans visage
Une révolution vient d'avoir lieu dans le microcosme de la chanson officielle. Le vainqueur du grand prix de l'eurovision n'est ni une beauté gesticulante en minijupe avec quatre minets comme faire valoir, ni un belâtre ringard distribuant à qui veut l'entendre ses "I love you" à faire pleurer dans les chaumières du cercle polaire au sud de la Méditerranée. C'est Lordi, un groupe de Hard Rock Metal qui a cette particularité étonnante : toujours apparaître masqué. La dépersonnalisation totale, au point même qu'on "soupçonne" qu'il y a une fille (peut-être deux) et que ce groupe a fait l'objet (en Grèce) d'attaques de la part de mouvements "anti sataniques".
Qui aurait pu penser que l'Europe, dans un bel ensemble (ils finissent avec 50 points d'avance) porterait ses suffrages sur des candidats aussi excentriques ? Qui aurait pu croire, à l'époque de la "starisation" à outrance, du culte fanatique de la personnalité que ces vainqueurs n'auraient pas de visage ?
On peut dire que les enfants ont voté pour des chanteurs qui ressemblent à leurs jouets, ou encore pour des héros monstrueux de BD nordiques, façon "Seigneur des Anneaux", on peut dire que tout le monde était saturé de messages amoureux à l'eau de rose, d'une débilité affligeante (mais toujours en anglais) cela n'explique pourtant pas tout et surtout le revirement de mentalité depuis l'année dernière (dont je rappelle ici le titre de la chanson lauréate : "You are my number one"). Lordi parle lui d'"arockalypse", de terrasser les faux prophètes, que les fous seront les rois... bref, il ne joue pas dans la même cour et laisse les bons sentiments sirupeux au magasin des accessoires.
On peut avancer aussi que les masques laissent la place aux imaginations, qu'en prenant le contrepied des avalanches de visible, le non montré génère la création à notre seule mesure dans nos petits cerveaux fertiles. En clair qu'on a besoin de ne pas voir pour imaginer, et que, ces derniers temps, on a peut-être trop vu...
Il est parfois des petites réactions qui font chaud au coeur. La révolte (à l'échelle du monde de la chanson) des téléspectateurs de l'eurovision doit donner à penser, à ceux qui pensent pour nous, que parfois le public qu'on croit moutonnier peut briser ses chaînes et revendiquer autre chose que le romantisme anachronique qu'on lui impose. Avant que Lordi ne soit complétement récupéré par le Bizness, que l'Eurovision 2007 ne voie éclore des floppées de marginaux opportunistes, saluons tout de même ces jeunes (je doute que le troisième âge vote beaucoup à l'Eurovision) qui ont décidé de ne pas forcément marcher sur les traces bordées de fleurs qu'on a dessinées pour eux.

18 mai 2006

16 mai 2006

L'incarnation

L'image qui précède ce texte possède une étrange particularité : la perte des repères et des formes par accumulation. Voilà qui peut rappeler le fameux "schmilblic" des années 70 qui enchanta la France au premier degré (avec le jeu) ou au second (avec le défilé des ratés, des bafouillages, des incongruités, des archétypes de la France moyenne), dont Coluche fit un sketch (mais c'était superflu : les images assez caricaturales n'avaient pas besoin de caricature).
Donc on peut se livrer à un petit jeu : qu'est-ce que c'est ? Pour être franc avec vous, il ne s'agit pas d'une seule représentation mais le sujet est lui unique, ce qui fausse un peu la donne. Il vaut mieux voir cette image à la manière des cubistes qui intégraient plusieurs vues, sous différents angles, du même sujet. Cette indication peut aider. Maintenant, faites travailler votre imagination (et que les privilégiés qui connaissent la réponse pour de raisons personnelles ne soufflent mot).
Une petite remarque concernant les images, commentaire de l'ouvrage de Marie-José Mondzain : "L'image peut-elle tuer ?". La force de l'image dans le monde chrétien est, selon elle, directement liée à l'incarnation religieuse, c'est-à-dire au passage du Dieu abstrait au Christ, enfin représentable puisque de forme humaine.
Il y a bien des représentations de Dieu à la Renaissance (souvenez-vous, la chapelle Sixtine, Dieu et Adam) et d'autres aussi, moins connues, mais elles sont très rares. Le christianisme comprit (très tôt) que la diffusion de la pensée se ferait par l'image, et pour qu'il y ait images il faut des symboles (évolutifs dans le cas du Christ sans barbe aux premiers siècles): Le chemin de croix (quoi de plus iconique), la nativité, la crèche (quoi de plus ludique, une maison de poupée, les rois mages, les animaux). Bref, il fallait une histoire qu'on puisse raconter, qu'on puisse visionner, avec des personnages, des événements, des bons, des méchants (dernièrement, avec son évangile, Judas en méchant tous azimuts
prend sérieusement du plomb dans l'aile, je serai curieux de lire une étude iconographique sur les représentations de Judas)... On s'en est donné du mal pour diffuser la pensée et surtout pour asseoir son pouvoir. La religion chrétienne : une grande leçon de communication réussie avant la lettre.
Les deux autres grandes religions contemporaines n'ont pas eu besoin d'autant de concret, d'autant de visuel pour se développer, mais elles n'ont émergé ni en même temps ni dans les mêmes lieux. Preuve qu'on n'est pas forcément tous fait pareil comme on voudrait nous le faire avaler... Il faut croire en nos différences... et les accepter, ce qui n'est pas le plus facile.

12 mai 2006

Le pouvoir liquéfié





2005 et le début 2006 auront été marqués par tant d'événements politiques internes à la France qu'on se demande encore comment le pouvoir et la république y ont survécu, et surtout dans quel état. Le NON à la constitution européene, la crise des banlieues (qu'on a d'ailleurs complètement oubliée aujourd'hui), le contrat première embauche (dont il était évident que la rédaction avait été bâclée par des incompétents) et pour finir l'affaire Clearstream, la cerise sur le gâteau, le coup de boutoir final pour décrédibiliser le pouvoir étatique, ou ce qu'il en restait. La France et sa monarchie présidentielle de la cinquième république ont vécu. Pourtant, il y a un an, personne n'aurait remis en cause notre constitution. Mais aujourd'hui, dans un bel ensemble touchant, majorité comme opposition clament, à qui veut l'entendre, qu'elle est "à bout de souffle" (clin d'oeil au film de Godard ?). La constitution de 1958 qui faisait presque l'unanimité jusqu'en 2005 (soit pendant près de cinquante années) devient brutalement bonne à jeter aux orties. Etrange comportement de ce monde politique qui préfère accuser les textes plutôt que se remettre en question. Car il est bien là le problème : celui qui détient le pouvoir fera tout pour ne jamais l'abandonner. Ce sont aux autres de le pousser vers la sortie. Aujourd'hui, on est "homme politique" jusqu'à sa mort, le plus souvent. A l'âge auquel dans une entreprise privée on est relégué sur une voie de garage depuis longtemps (que de préretraites pour ceux dont on veut se débarrasser), la politique fonctionne, elle, en sens inverse. Les jeunes adhérents aux partis s'en plaignent assez. Aucune chance de carrière avant 40 ans au sein des partis, sauf dans les groupes de jeunes qui n'ont jamais d'autre rôle que celui de susciter la sympathie (les jeunes, on ne lutte pas contre, on en sourit, impétuosité de la jeunesse, erreurs de jeunesse, manque d'expérience, etc, etc...). Il faudrait maintenant plutôt parler de la compétence des "vieux", ceux qui se repassent le pouvoir depuis 25 ans (pour dire l'expérience qu'ils ont accumulée), toujours présents malgré les mises en examen, les corruptions, les échecs, les bérésinas électorales (dont chaque fois on se jure pourtant de tirer les leçons), malgré le Front National au second tour (en 2002): la catastrophe démocratique.
Il faut le dire clairement, ce même Front National avec le même J.M. Lepen a toutes les chances en 2007 de réitérer son exploit de 2002, voire de faire mieux tellement le monde politique classique est entêté, incapable de changement (pourtant le maître mot de toutes les campagnes électorales, de droite comme de gauche depuis 1981). Quoi de plus favorable à son épanouissement ? Rejet des institutions (le CPE avait été voté par la chambre), des représentants du pouvoir (tous pourris, corrompus ou occupés par leur seule ambition personnelle), de l'Etat (générateur d'inégalités, de chômage, et personne pour stopper l'hémorragie). Que reste-t-il comme référence collective dans cette France de début de siècle ? Le sport, à la condition de gagner... On a appelé ça sérieusement, en politologie, l'effet Zidane, tellement la portée de cette victoire de 1998 fut conséquente. Pour la première fois, depuis des décennies, la France se trouvait un point commun, les émigrés se sentaient représentés, le pays entier suivait, se réjouissait, vibrait d'un même accord pour le même événement. Il fallait que ce soit le football, dérisoire divertissement ou la victoire est très souvent aléatoire (c'est ce qui fait son succés : la surprise toujours possible). La seule valeur commune des Français de cette fin de XXème siècle : un jeu de ballon. N'y a-t-il pas alors des raisons pour s'interroger sur les NON aux referendums, sur l'image de la politique et des politiciens, sur les dérives que le pouvoir entraîne quand, comme dans la cinquième république (et en ceci elle est condamnable mais bien tardivement condamnée par ceux qui en ont profité outrageusement si longtemps), les contre pouvoirs ne jouent pas leur rôle? Quand le Président de la République recueille 19,88% des suffrages exprimés (peut-être moins de 15% pour l'ensemble de la population), à quelle légitimité peut-il prétendre ? Si le message des électeurs à chaque élection est clair, il dit ceci : ce sont les hommes politiques qui sont à bout de souffle (encore plus que la constitution), incapables d'imaginer autre chose, incapables de résoudre les problèmes qui, eux, ne changent pas (chômage, intégration, disparité honteuse des revenus). Ce sont ces hommes et ces femmes-là qui doivent laisser leur place, ceux qui se sont ébaudis dans le pouvoir depuis des décennies en nous jouant le piètre jeu de l'alternance et de la cohabitation sans jamais rien inventer ni rien résoudre. Personne ne croit plus en eux. Le FN le sait bien, lui aussi : plus les vieux éléphants des grands partis perdureront, plus les électeurs s'en détourneront et plus le nombre d'électeurs FN augmentera. Il y va même de l'intérêt national que la classe politique se renouvelle, une question de survie pour notre démocratie.
Il faut enfin savoir que les différences de revenus n'ont fait qu'augmenter en France (comme dans le monde d'ailleurs) depuis 25 ans, sans pour autant que les pauvres soient plus pauvres, mais en revanche faisant que les riches sont bien de plus en plus riches, les chômeurs de plus en plus nombreux, les ghettos de plus en plus lointains et de plus en plus frappés d'ostracisme. Les avertissements donnés à chaque élection ne sont pas entendus. On ne pourra pas éternellement diaboliser l'extrème droite lorsqu'elle sera devenue le premier parti de France (si ce n'est pas déjà fait). Jusqu'où faudra-t-il arriver pour que ce monde politique vieilli et usé jusqu'à la trame se remette en cause ?
La solution pourrait tenir en un mot si souvent prononcé et jamais appliqué : la répartition. Un vieux barbu avait lancé l'idée au XIXème sièle (déjà). On ne doit plus s'en souvenir : de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins. Seulement, dès qu'on prend le pouvoir dans un Etat français où tout favorise celui qui le détient où les contre pouvoirs se trouvent baillonnés, où le peuple n'est plus représenté, on en profite, on joue sa carte personnelle, on s'accroche aux privilèges et on se fout pas mal de la pauvreté, des laissers pour compte, des ségrégations raciales, en un mot de la collectivité.

Pour faire passer ce discours indigeste, quelques images de l'île de Madère et sa végétation luxuriante.