30 août 2006

Fusibles sur un tableau électrique


La semaine dernière, personne n'a trouvé (sauf les tricheurs). Lorsque l'eau est trop calcaire, on peut la filtrer pour éliminer une grande partie des sels. Le filtre (partie haute de l'image) est visible à travers un cylindre transparent, immergé et sous pression (donc peut être orienté dans le sens désiré). La partie basse de l'image est le support en plastique du filtre. Le tout mesure une trentaine de centimètres, la partie photographiée une dizaine.
Cette semaine, un objet plus courant dont on ne pourra donc pas me reprocher la rareté. Image brute et dans le bon sens. On attend des propositions pertinentes.

Le double meurtre symbolique

Jean Baudrillard, dans une conférence à l’Ecole normale supérieure, nous prévient de la destruction réciproque de l’image et du réel dans ce qu’il appelle un double meurtre symbolique : « Aujourd’hui tout prend forme d’image, le réel a disparu sous la profusion des images. Mais on oublie que l’image elle aussi disparaît sous le coup de la réalité. L’image est la plupart du temps dépossédée de son originalité, de son existence propre en tant qu’image, et vouée à une complicité honteuse avec le réel. La violence qu’exerce l’image est largement compensée par la violence qui lui est faite - son exploitation à fin de documentation, de témoignages, de message (y compris les messages de misère et de violence), son exploitation à des fins morales, pédagogiques, politiques, publicitaires..... Là, prend fin le destin de l’image, à la fois comme illusion fatale et comme illusion vitale. »

Ce qui est clair pour le premier meurtre, celui du réel par l’image (nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises et personne n’en doute plus) l’est beaucoup moins pour le second, le meurtre de l’image par le réel. Quand il développe ses arguments, Baudrillard dénonce la sur-interprétation des images, leur signification trop évidente, instantanée, qui leur enlève la part du rêve. C’est ce qu’il appelle « disparaître sous le coup de la réalité », ne pas aller au delà du premier sens, du rattachement au concret. La force d’une photographie serait justement cet aller-retour du spectateur entre le réel et sa représentation qui se doit de rester assez lointaine de l’original (le noir et blanc des galeries d’art). Il remarque que toutes les expériences destinées à augmenter les deux dimensions de l’image (photographies en relief, photographies sonorisées, hologramme, etc.) en sont restées au rang du gadget ou de curiosité. Il constate aussi, de façon un peu paradoxale, que l’image photographique pourrait se passer de réel, mais que nous, les spectateurs, ne le supportons pas. Il prêche donc pour une photographie dans laquelle l’œil chercherait, se promènerait, se garderait d’interpréter, bref, aurait le temps de rêver un peu, plutôt que de se voir imposer un sens immédiat, définitif et réducteur. Photo Herbert List

18 août 2006

Filtre à eau domestique (détail)

La semaine dernière j'ai encore cédé à la facilité et ceci pour une simple raison : lorsqu'on connaît le sujet et qu'on recadre l'image, on ne sait plus si le spectateur qui n'a pas ces éléments en tête pourra s'y retrouver. Donc vous avez trouvé aisément, sans hésitation, le sens d'une image qui m'avait paru difficilement compréhensible. Le coeur d'une fleur de tournesol n'a eu aucun secret pour vous, c'est pourquoi, cette semaine, il s'agit d'un objet peu courant, sans altération de l'image ou des couleurs. Il va falloir se creuser un peu la cervelle.

Ce qui n'a pas d'image n'existe pas


Ignacio Ramonet, dans son ouvrage La tyrannie de la communication, nous met en garde des dérives de la prépondérance du visuel : "La télévision impose... sa fascination pour l'image et cette idée fondatrice : seul le visible mérite l'information ; ce qui n'est pas visible et n'a pas d'image n'est pas télévisable, donc n'existe pas médiatiquement." Avec cette conséquence : "Certaines images sont désormais sous très haute surveillance, ou, pour être plus précis, certaines réalités sont strictement interdites d'images, ce qui est le moyen le plus efficace de les occulter. Pas d'image, pas de réalité."
Une exception cependant : la Guerre du Golfe en 1991 qui a fait dire à Jean Baudrillard : "La Guerre du Golfe n'a pas eu lieu". Elle n’a pas eu lieu parce que le peu de sens du peu d’images a mis dans l’embarras les commentateurs qui ne trouvaient rien à en dire. On a pu ainsi voir cette scène d’un journaliste, pris au dépourvu, tournant son micro vers le centre de Bagdad, une nuit de bombardements intenses, ne pouvant ajouter que : « écoutez le bruit des bombes ». Elle n’a pas eu lieu parce qu’on n’en a aperçu aucun direct de combats, aucune révélation médiatique. Uniquement des images neutres, souvent d’archives, qui n’illustraient rien de ce qu’on pouvait attendre après une telle publicité. On s’est retrouvé frustrés d’un spectacle grandeur nature si longtemps promis. Et pourtant les morts, on nous en parlait, mais on ne les voyait jamais, on ne savait plus qui croire. Tout le contraire de Timisoara quand on nous montrait des flopées de cadavres mais qui ne correspondaient pas, on l’a su plus tard, aux morts annoncés.
La photo de ce militaire, assis dans le désert, tentant d’établir une communication à l’aide de son antenne parabolique ne se conçoit que dans un contexte imposé. Celui de la guerre, du désert, de la solitude de celui qui cherche le contact. Bref, elle n’a pas de sens en tant que reportage de guerre. Elle aurait pu très bien avoir été prise en temps de paix dans un tout autre lieu. Sans la légende qui l’accompagne (militaire, guerre du Golfe, télécommunication) elle perd son intérêt d’un point de vue informatif. Tout est dit avec les mots, l’image n’apporte rien, elle se referme sur elle-même, elle est caduque, on n’en sait pas davantage sur le conflit. Et pourtant, il s’agit d’une des seules photos d’une guerre occultée par les démocraties qui la dirigeaient.

16 août 2006

Coeur d'une fleur de tournesol


Il s'agissait d'un barrage (celui de Bort-les-Orgues sur la Dordogne), de sa structure s'élargissant vers le bas pour supporter la pression croissante de l'eau. Vous avez tout trouvé, trop vite... j'en tiendrai compte à l'avenir.
Plus dur cette semaine donc, une nouvelle abstraction, en jaune cette fois.
A vous de jouer.

Faut-il tout montrer ? : les limites de la mondialisation

La question s’est bien sûr posée au sujet de ces fameuses caricatures de Mahomet que les musulmans , dans leur ensemble, jugeaient insultantes, et que les non-musulmans, en tout cas les média, défendaient comme symbole de liberté d’expression, principe sacré et inaltérable du monde occidental… depuis peu, faut-il le souligner. En gros depuis le virage des années 1970 qui ont correspondu à la fin des dictatures espagnole et portugaise, à la disparition de la censure officielle en Europe de l’ouest, à l’affaire du Watergate en Amérique du nord et, plus généralement, à la prise de pouvoir médiatique dans le monde occidental.

Donc on décide, du moins sur le principe, de tout montrer. Finies les mesquineries, les tabous, les pudeurs, les mensonges. Le monde journalistique se présente comme détenteur de vérité et rien n’échappera aux mots, aux caméras et appareils photo. Le mensonge étatique, soyons en certains, sera bien vite déjoué par ces armadas de justiciers « objectifs », qui ne roulent pour aucun parti ni aucune église.

Très vite pourtant des limites vont s’imposer. Celles d’abord des libertés individuelles : chacun a droit au respect de sa vie privée. Les procès intentés par des « personnalités » aux journaux pour violation de ce principe sont généralement gagnés et les plaignants indemnisés. Il faut savoir qu’un journal « à scandales » ne publie ses « informations » qu’après accord du, ou des personnages cités. Ces journaux parlent même de « collaboration » avec leurs vedettes partenaires. Dans ces milieux de célébrités, chacun sait qu’il vaut mieux entendre parler de soi en mal plutôt que ne rien entendre du tout. C’est un atout majeur pour assurer une puissance médiatique durable : personne ne réussit plus sans son image et le media s’occupe d’assurer sa diffusion.

Ensuite certaines réactions humaines, négatives et discriminatoires, sont condamnées, censurées malgré tout. Le racisme et l’antisémitisme par exemple. Personne ne s’en plaindra et pourtant c’est une restriction de liberté d’expression qui aboutit au politiquement correct : des études dont on ne publie pas les résultats, des idées qu’on tait, un discours stéréotypé (disparition du mot « primitif » pour « premier » pour… plus rien : le quai Branly). Il est à remarquer que l’Angleterre, partisane du communautarisme plutôt que de l’intégrationnisme français n’a pas publié les caricatures, au nom du respect pour les communautés musulmanes.
Enfin les guerres pour lesquelles la censure s'exerce de façon systématique sans que, étrangement, personne ne crie au scandale dans les milieux journalistiques. Les Malouines, la guerre du golfe pour laquelle toute la presse a dû se contenter des miettes qu'on lui jetait depuis les états majors. En bref, l'information, durant toutes les dernières guerres menées par le monde occidental, a été entièrement contrôlée par les pouvoirs en place.

L’idée de tout montrer ne résiste pas à la morale (on le voit avec la vie privée, le racisme et les guerres) et toute communauté en possède heureusement une. Là se trouve la limite de la mondialisation : les sociétés contemporaines ne sont plus unitaires et la morale n’est pas la même selon toutes ses composantes. La « liberté d'expression », par exemple, n’est pas forcément l’idée directrice de tous les modes de pensées contemporains, surtout lorsqu’ils sont imprégnés de religieux (encore davantage de militaire comme on le constate dans nos démocraties). Ce qui s'appelle respecter les différences et il semble difficile de faire prévaloir une pensée unique républicaine dans une société pour qui les idées issues de la révolution de 1789 s'évanouissent un peu plus chaque jour.

Haut gauche : « celui-ci est raciste », haut droite : « celui-ci est antisémite », bas « ceux-ci expriment la liberte de parole ». Tiré du journal jordanien Al-Ghad.

09 août 2006

Barrage sur la Dordogne

La semaine dernière, il s'agissait d'eau sur une feuille de lotus. La feuille de lotus possède une particularité (appelée "effet Lotus") : de microscopiques crochets lui permettent de retenir l'eau sans qu'elle s'étale. La photo montre un amas d'eau de 5 cm de diamètre, un peu à la manière du mercure qui s'amasse en petites billes, sans se disperser. Ainsi s'expliquent les reflets des herbes aux alentours, incompatibles avec la taille d'une simple goutte d'eau. Difficile, je l'admets volontiers. Ceux qui ont vu de l'eau sur un végétal avaient presque bon.
Cette semaine, plus facile, du moins en apparence. Du béton armé, certes, mais pour quoi faire ? Un usage très particulier, unique, qu'il vous reste à découvrir.

Le portrait de Mahomet

Comme nous l’avons dit la semaine dernière, le courant chiite de l’Islam (10%) n’est pas aussi rigide que le sunnisme et des représentations de Mahomet jeune circulent en Iran depuis les années 80. Ce ne sont pas les premières et des images du Prophète sont attestées dans l’art ottoman, au XIVème siècle par exemple. D’autre part, si l’absence de représentation dans les lieux saints est respectée depuis le IXème siècle, il en va autrement dans l’espace privé.

Il semble que tous ces portraits récents de Mahomet jeune soient issus d’un seul et même modèle, que seules diffèrent la couleur du fond, des vêtements et la décoration (souvent étoilée) de l’arrière plan. Deux ethnologues et collectionneurs d’images populaires du monde musulman, Pierre et Michèle Centlivres, découvrent, au hasard de la visite d’une exposition parisienne de photographies orientalistes (photographe Rudolf Franz Lehnert) cette photo réalisée en Tunisie (1905) d’un jeune arabe souriant à l’épaule dénudé. Ils font immédiatement le rapprochement avec les portraits de Mahomet jeune. La coïncidence est d’autant plus étonnante que ce photographe allemand, associé à un compatriote, se plaisait à photographier des adolescents maghrébins pour un public bien ciblé. Comme le remarquent les deux ethnologues suisses : «les jeunes garçons pris pour modèles ne laissaient pas insensible une clientèle européenne adepte de «l’amour qui n’ose pas dire son nom». C’est l’époque de l’immoralisme d’André Gide, qui n’a pas hésité à chanter la beauté des jeunes garçons du Maghreb».

Chacun sait qu'il est beaucoup plus facile de dessiner à partir d'un modèle. Le côté bidimensionnel de la photographie est un avantage supplémentaire et l'auteur de cette affiche ne se doutait pas qu'un jour, par hasard à Paris, deux citoyens helvétiques...

02 août 2006

Masse d'eau retenue par le lotus

Les chaises en plastique empilées après la pluie, c'était facile si j'en crois les réponses. Cette semaine, photo brute encore, sans aucun outil ni aucune altération de couleurs. Aucun autre indice, sinon vous trouvez trop vite.

Images et religions

« Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux… »

Exode 20:4-6

Voilà qui apporta de l’eau aux moulins iconoclastes et pourtant… les religions se passent difficilement du rituel, et le rituel est une représentation, bien que la liturgie nous martèle que la divinité n’est pas de l’ordre du visible.

Force est de constater que l’iconoclasme, qui prend sa source dans la bible, touche aux trois religions monothéistes. En 730 l’empereur Léon III interdit l’usage d’icônes du Christ, de Marie et de tous les Saints. Il ordonne même leur destruction ce qui entraîna nombre de réactions, dont celle de Jean Mansour qui classa l’Islam parmi les hérésies. La conséquence en fut que les partisans des icônes (iconodoules) accusèrent les iconoclastes de « penser comme des Arabes ». Cela semble vrai si l’on ne généralise pas à l’Islam ou l’imagerie religieuse est importante dans le monde persan, les empires ottoman et moghol. De plus, il semble que le refus des images d’une partie de l’Islam n’ait pas de raisons religieuses, comme il en avait pour le Christianisme. Ce serait pour se démarquer du monde de Byzance et enrayer ainsi un processus de conversion au Christianisme, tout en rejetant le luxe outrancier des empereurs, que l’Islam en vint à rejeter les représentations. D’ailleurs, à partir du moment où le monde islamique n’est plus menacé dans son existence, les classes sociales marchandes musulmanes réclament des figurations sur les objets qu’elles commercent.

La destruction des statues géantes de Bouddha en Afghanistan par les Talibans, si choquantes qu’elles puissent être pour l’histoire de l’art, ne doivent donc pas faire oublier qu’il n’y a pas si longtemps les protestants anéantirent bon nombre de statues chrétiennes, les Byzantins défigurèrent les représentations paganistes de la Grèce et de Rome et que l’iconoclasme est, dans ses fondements, davantage un phénomène chrétien qu’islamique.


Iconoclasme pendant la Réforme protestante