25 avril 2007

"La piscine" de Roubaix

Tom a frappé juste la semaine dernière. On peut toutefois considérer que l'énigme était un peu régionale et que ceux qui n'ont pas la chance de bien connaître le Nord étaient quelque peu défavorisés : le nouveau bâtiment dit "la lame" qui fait face au musée des Beaux Arts de Lille. Une architecture osée, une façade composée de petits miroirs, ordonnés géométriquement, qui réfléchissent un imposant édifice ancien. Une étonnante association cette semaine. Je ne demande pas la topologie mais juste de quels élément est composée cette image et dans quel cas peuvent-ils être associés. Je n'ai encore testé cette image sur personne. A vous de jouer.

Décryptage de la "soirée électorale" France 2

Etrange rituel de télévision après la fermeture des bureaux de vote, à 20h. Nous y sommes habitués maintenant, le vote est fréquent en France, et pourtant les règles du jeu sont bien particulières. Les remarque-t-on encore ?

D’abord il faut noter le côté fuyant des « personnalités » qui se succèdent autour de la table semi-circulaire (pour laisser l’autre moitié aux caméras). Quelqu’un arrive, parfois sans qu’on l’ait vu venir, sans être annoncé (ou annoncé plus tard) et prend la place de quelqu’un d’autre, déjà parti en catimini, sans qu’on en soit informé davantage. En résumant, plan de la caméra sur la droite, quelqu’un parle, contrechamp à gauche, ce ne sont plus les mêmes… et ces nouveaux n’arrivent pas à suivre la conversation : euh… je ne sais pas, je n’étais pas là lors de l’intervention de M. XXX. Le phénomène est d’autant plus surprenant que, dans certains cas, il semblerait que s’instaure un débat passionné. Le temps que le thermomètre monte et un des protagonistes s’est envolé. Où ? A côté, sur France 3 par exemple (le zapping le confirme) ou encore sur une radio périphérique, au « QG de campagne ». Il est clair que ces hommes politiques ont été désignés pour occuper le terrain « télévision » et que leur rôle consiste à apparaître le plus souvent possible sur tous les fronts. Quelques plans de coulisse pour rompre la monotonie visuelle : arrivée au studio des politiques (les plus connus), maquillages hâtifs, pour bien marquer le côté improvisé et « en direct » de l’émission. Reste à savoir si les intervenants sont invités, s’ils viennent d’eux même avec leur statut de « personnalités » et si certains (pas assez médiatisés) sont refoulés aux portes du studio.

Ensuite, la « règle de ces émissions » (dixit le journaliste de FR2) serait de couper la parole à un intervenant pour montrer des images de l’extérieur. La plupart du temps, c’est le correspondant au QG de campagne qui demande la parole : « nous attendons M. XXX d’ici une demi-heure maintenant ». Voilà l’information. Ce journaliste, face à la caméra, le micro à la main, est filmé avec des militants en arrière-plan, ravis de profiter de l’occasion pour être « vus à la télé », gesticulants en espérant qu’un cousin, un ami peut-être, les reconnaîtra.

On repart sur le débat laissé en suspens, avec d’autres acteurs cette fois, puisque certains élus ont profité de l’occasion pour s’éclipser.

Une fois que le candidat a (enfin) terminé sa déclaration d’après « premières estimations» (autre rituel), les intervenants, dans le studio, sont encore coupés par « le départ des candidats du QG ». Là aussi, ce sont des images de l’extérieur. Le candidat monte dans une voiture et disparaît dans la nuit. Autre information essentielle. Pas de déclaration, une ombre, à peine reconnaissable, dans un éclairage public de rue.

Il y a ce qu’on n’a pas assez vu : un analyste politique présent et bien discret, un représentant d’institut de sondage bien peu loquace (et pourtant les sondeurs se sont, une fois de plus, tous trompés sur le vote FN, dans l’autre sens cette fois). Le Premier Ministre en fonction, les anciens Présidents ne sont jamais apparus non plus. Aucun représentant de la « société civile ».

Il y a ce qu’on a trop vu : les quelques personnalités qui passent leur soirée à se déplacer d’une chaîne à l’autre, les QG de campagne (avec des plans très médiocres, sans éclairage spécifique, souvent à contre-jour, destinés à relater une ambiance, tant et si bien qu’on ne distingue pas un lieu d’un autre), et les journalistes du studio de la chaîne qui confondent leur rôle de médiateurs avec celui de protagonistes.

L’action des deux journalistes de la chaîne est double : interrompre la discussion quand les événements l’imposent (comme on l’a vu). Mettre de l’huile sur le feu en lançant des questions supposées gênantes ou capables d’enflammer le débat : « Au vu de votre score peut-on se poser la question de la disparition de votre parti ? », « A qui donnerez-vous vos voix, tellement convoitées, au second tour ? », « Votre leader donnera-t-il des consignes de vote ? ». Mais les réponses n’ont pas le temps de se développer. Nouvelle interruption pour une liaison avec un QG de campagne. Et ainsi de suite pendant trois heures…

Dire que la politique est devenue spectacle est aujourd’hui un lieu commun. Le risque qu’encourt maintenant l’information est celui de l’absence totale de fond pour ne plus conserver que du visible et de la séduction : disparition de la réflexion au profit de la création artificielle d’un pseudo événement visuel capable d'émouvoir un large public. Un ministre l’a très bien exprimé dimanche soir, sans y trouver motif à critique : « XXX a fait une très bonne campagne, il a réussi à capter l’intérêt du citoyen en parlant de ses problèmes ». Rapprochons cette remarque de cette réflexion sociologique : « Les médias doivent prouver à la fois qu’ils sont crédibles dans leur façon de rendre compte de l’information, et qu’ils arrivent à concerner, à capter leur public. Or cela se fait par une mise en scène de l’information appropriée qui tient plus de la séduction que de la persuasion » (La parole confisquée- P. Charandeau, R. Ghiglione, Dunod 1997).

Les intérêts politiques et médiatiques convergent irrémédiablement. La maladie qui consiste à vouloir plaire à tout prix au plus grand nombre se serait donc répandue. On parlera uniquement du citoyen et de ses problèmes personnels puisqu’il ne s’intéresse plus qu’à lui-même (qui fait la poule…). On passera sous silence tout ce qui n’a plus de rapport direct avec l’électeur : l’international (trop lointain), la politique économique (trop technique), le choix de société (trop abstrait). Les images ne servent plus qu’à représenter les acteurs médiatisés de la vie politique, et peu importe finalement leurs discours. Les compétences s’effacent devant les notoriétés et les images des protagonistes. Pour acquérir cette notoriété, il est essentiel d’être vu le plus souvent possible, peu importe la raison. Il est impératif de faire partie du quotidien affectif de chaque (télé)spectateur en s’assurant une présence quasi quotidienne à la télévision et dans les journaux. L’information perd alors sa teneur. Il s’agira simplement de montrer le sujet médiatisé (le départ en voiture du candidat, par exemple), rien d’autre. On a dissocié l’image de son sens, quand elle en a un. Mais, de plus en plus, elle n’en a plus et l’unique intérêt consiste à reconnaître celui ou celle dont on nous matraque le visage au quotidien. Et gare à celui qui ne réussira pas à « capter l’intérêt » . Ce serait fatal pour un média et même aujourd’hui pour la politique.

18 avril 2007

Façade de l'extension du musée des Beaux Arts de Lille

Semaine tendue que fut la précédente. Record du nombre de commentaires. Certains se sont approchés, très près, en laissant filer la réponse au dernier moment. Quel suspens !!! Che Guevara, la photo des photos, traitée à toutes les sauces, y compris celle de la trichromie. Le rouge et le noir, les couleurs de Stendhal... et des révolutions. Une grande peinture sur planches en bois (qui expliquent les traits verticaux parallèles) au centre de Lille. Une image dont je donne ici l'intégralité (pour ceux qui ne connaissent pas la photo, mais c'est impossible).
Photo encore bien alambiquée cette semaine, mais il faut des énigmes difficiles pour réussir à vous maintenir en veille toute la semaine. Ju a trouvé Che Guevara le dernier jour...
Alors, une fois de plus, pas de superposition, pas de chichis photographiques et j'espère que certains qui connaissent ne donneront pas la réponse dans les deux heures qui suivent. Si c'était le cas, je collerai une image que vous ne trouverez jamais, pour vous apprendre...

L'image des candidats

Par ces temps d’élections, il a semblé intéressant de comparer les différentes images que souhaitent donner les candidats d’eux-mêmes à travers les doubles pages A4 (suivant les réglementations) qu’ils envoient à tous les électeurs français. Nous nous sommes limités aux quatre principaux, supposés recueillir, ce dimanche 22 avril, la majorité des suffrages électoraux.

Commençons par la dame. C’est un événement dans nos institutions : une femme a la possibilité d’accéder à la présidence. C’est sa première candidature. Le texte nous gratifie d’un jeu de mot qui accentue la féminité de la candidate en accordant sa fonction avec le genre grammatical du pays : « La France Présidente » (trois majuscules). « Le changement » comme slogan, le thème principal qui a porté Mitterrand au pouvoir en 1981, repris depuis par la quasi-totalité du monde politique, toutes tendances confondues. Il est présenté en contrepoids au nom de la candidate. En bas à droite les trois logos, très discrets, des trois partis représentés (Parti Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, parti Radical de gauche).

La photo est en noir & blanc, visiblement retouchée, d’un cadrage serré sur la tête et, à part le visage, ne laisse rien transparaître d’autre qu’un morceau de collier de la candidate, en bas à droite. Ségolène ne sourit pas. Elle regarde le spectateur. Dans le texte le pronom « je » est très peu utilisé.

Jean-Marie Le Pen se distingue de ses adversaires par une affiche pliée que l’on doit ouvrir pour, aussi bien voir sa photo(au recto) que lire le texte (au verso). Moins de mots que les autres, une plus grande image du candidat, cadré beaucoup plus large. Une phrase écrite à la main attire l’attention par son originalité : « Vive la Vie ». Pas de slogan sur la première page, uniquement « VOTEZ LE PEN ». Un gros logo en bas à gauche « LE PEN président 2007 ». L’homme est souriant, la main gauche (avec alliance) tendue vers le lecteur, comme un signe de rapprochement souhaité, on distingue mal ses yeux. Des couleurs neutres, aucunement marquées (comme le seraient le bleu blanc rouge). Un fond suggérant une foule, très floue. On peut deviner un net désir de gommer tout caractère extrémiste. Le candidat se veut « de rassemblement populaire » et souhaite évincer toute peur, dérives racistes et xénophobes qu’il pourrait susciter. Plus aucune référence à une quelconque discrimination ou encore aux autres thèmes récurrents de l’extrême droite (la sécurité a presque disparu). La seule note nettement frontiste est à la fin du texte : « Je serai le défenseur de la France et des Français d’abord. »


François Bayrou ne sourit pas. Il est accoudé, une main sur l’autre qui laisse voir son alliance. Chemise à rayures bleues ciel, costume sombre. Les yeux dans ceux du lecteur. Image composée sur la diagonale haut gauche-bas droite. Ecriture à la main, « vivre ensemble », un slogan « la France de toutes nos forces » à la limite du jeu de mots. Plan américain, le fond de ciel rappelle le bleu de la cravate. Aucune référence à l’UDF, ni sur l’image, ni dans le texte. Un « je » omniprésent au début de chaque paragraphe. Faire passer le message d’une nouvelle façon de considérer la politique tout en conservant les valeurs traditionnelles (famille, terroir, etc.).




« ENSEMBLE tout devient possible » nous dit Nicolas Sarkozy. L’homme est presque souriant. Il l’est davantage à l’intérieur sur de petites images mais force est de constater que son grand sourire n’est pas très photogénique. Il n’a donc pas été retenu pour les vues principales. Costume sombre, légion d’honneur à la boutonnière, dominante bleue avec un morceau de vert en bas à droite, détourage visible du personnage, cadrage plan américain. Pas de logo, pas de référence à l’UMP. Des mots forts : « valeur travail », « nouvelles protections », « Etat fort et impartial ». Insistance sur la « confiance » et la « sincérité ». Soulignement de l’absence de « mensonge » et de « trahison ». Pour lui aussi, tous les slogans du texte sont précédés de « Je », comme préambule à toutes les phrases. Le candidat mise sur un pouvoir fort, centralisé sur sa personne, pari qui ne peut se gagner qu’avec une confiance (le mot revient souvent) indéfectible des citoyens.

Quels enseignements pouvons-nous tirer en comparant ces dépliants publicitaires ?

D’abord les photos :

Ces élections marquent la disparition des symboles dans les images. Nous sommes loin du clocher de village de Mitterrand ou du pommier de Chirac. Les seuls signes, bien discrets, sont les alliances au doigt et une microscopique légion d’honneur. Disparition également des couleurs trop liées à des partis (sauf pour le PS). Pas de rouge pour l’UMP ou de bleu-blanc-rouge pour le FN, un vague rappel orange dans les lettres pour l’UDF. Aucun candidat ne tente la moindre audace quant au message visuel. La photo de Ségolène Royal est même délibérément passéiste (Noir & Blanc, retouche, absence de contexte vestimentaire). Les photos de Sarkozy et Bayrou se ressemblent étrangement : même composition, mêmes couleurs dominantes, même costume, même fantaisie dans les chemises et cravates, même cadrage, même point de vue. Ségolène Royal et J. M. Le Pen présentent les images les plus différentes, tant par le cadrage que par la texture avec un net parti pris de modernité chez Le Pen et de nostalgie chez Ségolène. Les quatre candidats font tous face au lecteur, les yeux rivés sur lui.

Les textes ensuite :

Les mêmes mots reviennent chez les quatre : « confiance », « unis », « tous les Français ». Il est clair que le message à faire passer est celui du rassemblement d’un groupe qu’on souhaite le plus large possible. L’obsession du « je » se retrouve chez François Bayron et Nicolas Sarkozy, tout comme l’absence de référence à un parti politique qui risquerait de diviser au lieu de rassembler. Ces deux derniers candidats se présentent comme des hommes indépendants et jamais comme les représentants d’un groupe quelconque. Ils dénoncent tous les deux l’inefficacité du système politique actuel.
Ségolène Royal et J. M. Le Pen présentent des textes moins centrés sur leurs personnes. Les logos de leurs partis figurent sur la première page du tract. Ségolène emploie des infinitifs : « Garantir la cohésion nationale » et Le Pen s’adresse aux électeurs : « N’ayez pas peur », «… nous allons restaurer la souveraineté française ».
Dans les quatre feuillets on retrouve des phrases écrites de la main du candidat ainsi que sa signature. Pour deux d’entre eux sur la première page, à côté de la photo. Pas de place, chez aucun des quatre, pour une quelconque fantaisie tant sur le fond que sur la forme.

Beaucoup de points communs donc entre Sarkozy et Bayrou dont on soupçonnera que les conseillers en communication puissent sortir du même moule. Un étrange pari de Ségolène Royal qui, en rompant avec une communication d’école, tient à rassurer en misant sur le passé, tant pour l’image que pour le slogan tout en effaçant son ego derrière un discours plus collectif. Un revirement de Le Pen qui s’applique à ne plus faire peur en présentant de lui-même une image respectable, largement populaire, sans écart de langage et plutôt moderne.

Il restera difficile, le dimanche 22 avril au soir, de déterminer quel aura été le rôle de la communication dans les résultats du scrutin. Il semble pourtant évident qu’il va crescendo au fil des années pour même devenir fondamental avec la disparition des idéologies. On saura bientôt lequel des quatre candidats aura fait le meilleur choix en s’adressant à la population.


11 avril 2007

Che Guevara (détail)


Difficile semaine dernière. La photo d'une photo, déchirée de surcroît, en gros plan et à l'envers (eh oui chacun a ses manies). C'est Marsyas qui s'est approché le plus près. Voilà un autre genre cette semaine avec une énigme que vous avez tout déjà vue, soyez-en sûrs, pas forcément sous cette forme. Alors, pour ne pas trop vous égarer, sachez que l'image est dans le bon sens, qu'elle n'est pas transformée et que, quand vous saurez, l'énigme paraîtra très évidente. Bonne chance.

Lord Elgin et les antiquités

Cet article est le troisième et dernier volet du chapitre consacré aux antiquités exposées dans les musées, chapitre quelque peu éloigné des thèmes habituels de ce blog et de l’image en particulier, vous voudrez bien m’en excuser.

Lord Elgin (1766 Londres- 1841 Paris), Thomas Bruce de son vrai nom, est un diplomate et un militaire. Il débute sa carrière très jeune et après quelques années se voit nommé Ambassadeur d’Angleterre à Constantinople. Il a 32 ans et un goût prononcé pour les antiquités. Au gré de ses voyages et de ses rencontres, il se constitue une équipe composée d’artistes (peintres), de techniciens (mouleurs) d’hommes de lois (dont son fondé de pouvoir Lusieri) et d’aventuriers qu’il charge de s’occuper des marbres d’Athènes. Etant parvenu à soutirer un accord aux autorités turques, il fait main basse sur les monuments de l’Acropole :
12 statues du fronton
156 dalles de la frise
15 métopes
La frise du temple d’Athéna Niké
Une cariatide
200 caisses au total sont ainsi prélevées avant que les autorités turques ne mettent fin à ce pillage. Il faut aussi comprendre que pour prélever certaines pièces architecturales sculptées, l’équipe de Elgin est obligée de démonter grossièrement des parties entières du monument, au mépris de toute règle de préservation des édifices.
Le plus étonnant reste que Elgin ne sera passé qu’une seule fois par Athènes, en 1802. En revanche, il voyage fréquemment à travers les îles de la mer Egée où il ne rentre jamais sans quelques souvenirs, statue (Salamine), autel (Délos), avec, et il faut le souligner, la bénédiction des autorités locales (turques à cette époque) et même celle des représentants de l’église orthodoxe.
Ne nous y trompons pas, Elgin est Anglais, il aurait pu être Français, Allemand ou Russe, selon les contextes politiques et le cours des victoires et des défaites militaires. Ces pratiques de collectes d’antiquités, dans une moindre mesure, étaient courantes à cette époque.
Après l’Acropole, Elgin ne souhaite pas s’en tenir là. Il demande à son équipe de “travailler” sur Salamine, Egine, l’Attique, le Péloponèse, les Cyclades. La Grèce se prépare donc à un véritable déménagement de son patrimoine qu’Elgin ne réussira heureusement pas à mener à terme. Tous ses trophées sont exposés chez lui, en Angleterre et certains vont même jusqu’à le féliciter d’avoir fait de Londres “une nouvelle Athènes”.
Pourtant, au sein même de la communauté anglaise de Grèce ainsi que dans les milieux artistiques londoniens, la polèmique s’engage au sujet de cet aventurier. Lord Byron le traitera de «stupide spoliateur, misérable antiquaire aidé de ses infâmes agents» alors que Benjamin West saluera en lui un «bienfaiteur de la nation anglaise, rénovateur du goût». Byron écrit en 1811 The curse of Minerve :
« Nous avons échappé aux ravages du Turc et du Goth
Ton pays nous envoie un barbare pire que ces deux-là réunis ».
Le vent commence à tourner pour Elgin. Ses finances ne suivent plus et il ne parvient pas à rembourser les frais engagés dans ses expéditions orientales. Son bateau privé, le Mentor, coule à Cythère avec 18 caisses de sculptures du Parthénon. Elles seront récupérées, dans les années suivantes par des pêcheurs d’éponges. Ruiné, il souhaite revendre à l’Etat anglais sa collection d’antiquités mais se heurte à de nombreuses suspicions. Les experts de l’époque ne reconnaissent pas la main de Phidias (Vème av. J.C.) mais datent ces sculptures de l’Acropole de l’époque d’Hadrien (IIème ap. J.C.). Les droits de propriétés sont douteux et tout le monde a eu vent des déprédations commises à Athènes. La réputation de l’aventurier est encore ternie par une affaire de vol de documents à un membre, résident en Grèce, de la famille Tweddell. Après des années d’hésitation, le British Museum achète finalement le lot de sculptures en 1816 pour la somme de 35 500 livres sterling.
En 1821 la Grèce, poussée par les puissances européennes dans son combat contre l’empire Ottoman, devient indépendante. Le pays se construit autour de l’idée de la Grèce antique. Après quelques années, Athènes, qui n’est alors qu’un village, est choisie comme capitale emblématique de ce pays neuf. Les premiers hommes politiques ne cachent pas les liens particuliers qu’ils souhaitent tisser entre l’Antiquité et l’époque moderne. On utilise les représentations antiques, les noms antiques, et bien sûr des voix s’élèvent rapidement pour réclamer le retour en Grèce des marbres de l’Acropole considérés comme le symbole national par excellence. Presque deux siècles plus tard, ces revendications demeurent et la plaie n’est toujours pas cicatrisée.
Illustration : Portrait de Lord Elgin (haut), portrait de Lord Byron (bas).

04 avril 2007

Détail d'une affiche déchirée


La semaine dernière fut délicate. Un ex voto en cire ce n'est pas si courant, et une représentation d'oreille non plus. Bref je donne des images difficiles sinon vous découvrez la supercherie dans l'heure qui suit la mise en ligne et ensuite... il reste une longue semaine sans énigme à se mettre sous la dent. Ce devrait être un peu plus simple pour la semaine de Pâques mais sait-on jamais !!! Pas de superposition, pas de chichis, on travaille en original tout droit sorti de la boîte et roulez jeunesse...
Je n'oublie pas de donner une vue plus large de l'oreille, quand je serai rentré en Grèce.

Restituer les antiquités à leur pays d'origine?


La semaine dernière nous avons vu comment se sont constituées les collections des grands musées européens depuis la fin du XVIIIème siècle. Rapporter de ces expéditions lointaines et dangereuses (beaucoup n’en revenaient pas) ces trésors de l’art a entraîné l’Europe dans un formidable élan. Il faut réaliser ce qu’a pu représenter l’architecture grecque pour les architectes parisiens ou londoniens de cette époque, plus tard ce qu’a pu représenter l’art africain pour les surréalistes, l’art extrême oriental, les expositions universelles. L’Europe prend conscience qu’elle n’est pas la seule civilisation à posséder une grande culture, que les Indiens, les Africains, les Asiatiques ne sont pas des sous-hommes uniquement bons à servir de main-d’œuvre bon marché, quand ce n’est pas d’esclaves, et que ces pays exotiques sont autre chose que des réservoirs inépuisables de matières premières. Il s’est créé dans les grandes capitales européennes un véritable trésor d’art de l’humanité toute entière. Le British Museum, le Louvre, pour ne citer qu’eux, accueillent des millions de visiteurs par an venus des quatre coins du monde. Ils constituent d’extraordinaires foyers culturels et font bien des envieux.
Le point de vue des pays spoliés est bien sûr radicalement différent. Dans certains cas ce sont des figures emblématiques uniques de toute une civilisation qui ont été prélevées (les marbres du Parthénon, les bronzes du Bénin, par exemple) et on parle souvent de pertes irréparables. L’argument de la vente légale n’est pas accepté par les lésés, arguant que cette vente s’est déroulée de façon douteuse, à une époque où l’administration et les contrôles étaient inexistants.
Les musées européens avancent qu’on ne peut pas revenir sur un passé aussi lointain (plus de deux siècles) et qu’à l’époque ces acquisitions étaient légales. On tend à fixer une limite au réexamen des cas litigieux : l’année 1970 (cette limite est surtout valable pour les authentifications).
Il semblerait que chaque camp ait de bonnes raisons de défendre sa propriété, soit nationale pour les uns, en considérant qu’une œuvre créée et utilisée dans un pays appartient à ce même pays, soit mercantile ou culturelle pour les autres, en considérant que les œuvres ont été vendues et donc achetées légalement et qu’elles font partie d’un ensemble artistique constitué depuis deux siècles, vu par des visiteurs du monde entier et qu’il n’est pas question de le démanteler.
On pourrait peut-être trouver un accord qui satisferait tout le monde si les grands musées organisaient des expositions itinérantes, comme cela se fait déjà mais à plus grande échelle, qui présenteraient les œuvres contestées de façon à donner l’impression qu’elles appartiennent plutôt à la communauté du genre humain qu’à une ancienne puissante nation guerrière. Ce ne serait qu’un modeste pas vers une notion de patrimoine universel, qui remplacerait avantageusement celle, héritière d'un trouble XIXème siècle colonial, de patrimoine national.
La semaine prochaine sera consacrée au cas passionnant, litigieux et célèbre des marbres du British Museum (dont vous avez deux exemples en illustration de cet article) qui ont fait couler tellement d'encre depuis plus d'un siècle.