27 septembre 2006

Pied chaussé d'une espadrille à pois

La semaine dernière vous avez réagi en fonction des couleurs et pas en fonction des formes. Expérience fort intéressante donc. Imaginons la photo en noir et blanc... personne n'aurait trouvé, du moins je pense. Bravo à Aïkido, encore une fois. Une image assez simple pour ceux qui fréquentent les aires de jeux pour enfants ou ceux, même s'ils n'en ont pas, qui sont restés de grands enfants. Le toboggan. Jeu mythique par excellence, qui ne se démode jamais. Jeu qui, sous des aspects différents, verra encore des générations de bambins s'adonner aux délices de la glissade et aux risques des atterrissages douloureux. Sur l'image, la partie supérieure du jeu, celle où l'on se retient avant la chute inquiétante.
Autre registre cette semaine. On change complètement d'échelle et on s'interroge. On reste tout de même dans le domaine du trouvable. A voir...

Une photo qui change le cours de l'histoire

Le 8 juin 1972, à l’entrée du village de Trang-Bang occupé récemment par les troupes Vietcong, l’armée américaine prend l’initiative d’une offensive, menée par les sud-vietnamiens, qui utilise du gaz au napalm. Le photographe Nick Ut prend ce cliché, publié le lendemain du bombardement et repris par un sénateur démocrate pour demander des aides supplémentaires aux hôpitaux vietnamiens. Cette image incarne rapidement l’impopularité de l’engagement américain au Vietnam (alors que l’avion et le pilote sont vietnamiens). Le photographe reçoit le prix Pulitzer pour cette photo et accède à une reconnaissance internationale.
Les brûlures de cette petite fille, Kim Phuc, bouleverseront le cours de sa vie. Sauvée par le photographe et une équipe de médecins travaillant à Saïgon qui lui donnent les soins nécessaires à son état critique, elle deviendra un emblème médiatique. Symbole de la résistance anti-impérialiste, elle se liera d’amitié avec le premier ministre vietnamien (Pham Van Dong) qui l’enverra dans tous les rassemblements de jeunesse communiste et qui organisera des interviews avec la presse occidentale. Emigrée ensuite au Canada, elle rencontre l’officier américain ordonnateur de l’opération guerrière et, dans un grand élan de bonté largement couvert par la presse, lui accorde son pardon. Elle est nommée, en 1998, ambassadrice de l’UNICEF.
Un ouvrage racontant sa vie a été publié en 1999 par Denise Chong : The girl on the picture (traduit en français).

Cette photo sera jugée trop chargée d’émotion pour l’opinion, et quand on sait que l’opinion peut faire basculer un conflit… (le Vietnam servira d’exemple). Elle marquera le siècle à plus d’un titre mais il reste difficile de lui attribuer la cause du désengagement américain, déjà bien entamé à cette époque :
D’abord elle fera prendre conscience aux sociétés, s'il en était encore besoin, qu’une guerre est sale, que les victimes en sont majoritairement les populations civiles et donc aussi des enfants innocents, otages des décisions prises en « hauts lieux ». Cette image dérange les spectateurs occidentaux en leur renvoyant en pleine face les barbaries dont sont capables leurs armées nationales qu’elles cautionnent pourtant le plus souvent.
Ensuite cette photo marque la fin de la liberté de la presse dans les conflits. Les militaires prennent conscience qu’une guerre n’est pas montrable, qu'on ne doit pas faire vibrer la corde sensible de la pitié et qu’en diffusant des images comme celles-là, les soldats passent pour les exécuteurs des basses besognes, à la botte des décideurs qui ne défendent souvent que leurs troubles intérêts. Les guerres suivantes seront donc sans images et la presse se verra honteusement censurée. Autant d’entorses aux principes démocratiques pourtant fièrement affichés. Guerre des Malouines, guerre du Golfe dont on ne verra que les sacs plastique des militaires morts rapatriés, jamais les horreurs commises sur les populations civiles ennemies, jamais les enfants mutilés, jamais ce qu’on appelle pudiquement les « dommages collatéraux ».

Comment conclure ? En constatant que les images sont parfois jugées trop fortes, c'est-à-dire trop sujettes à réaction et risquent de troubler le fragile équilibre de nos sociétés hyper émotives ? En observant qu’on peut prendre parti pour un conflit sans en assumer les conséquences, même à travers le biais des images ? (Ce serait alors la limite de la démocratie : occulter ce dont on est peu fier pour préserver la cohésion nationale) En regrettant enfin que, dans le cas d’une guerre, le fossé entre la réalité visible (les massacres) et l’idée (le patriotisme) soit si grand que nos dirigeants ont songé à nous éviter d’en tresser les liens ?

20 septembre 2006

Toboggan sur une aire de jeux

Il faut le signaler tout de suite. Cette devinette n'est pas pour Kyros qui a déjà trouvé la réponse en jetant un oeil sur mon écran. Les autres seront-ils aussi perspicaces ? Je ne donne et ne donnerai aucun indice, partant du fait que si l'un de vous a réussi, les autres réussiront bien aussi, seuls comme des grands, en cherchant un peu...
La semaine dernière, une photomystère un peu facile, d'autant que vous commencez un peu à connaître mes vices et mes manies.

La photo la plus reproduite au monde

S’il en est une ce serait celle-là. Le portrait de Che Guevara est sans contestation la photo la plus diffusée à travers le monde et en particulier en Amérique du sud où elle prend valeur de symbole universel. Cette image a connu des centaines de versions, colorisée, découpée, recadrée, contrastée. On en a fait des tasses, des tee-shirts, des drapeaux. Toscani, le directeur artistique de Benetton dira même : « C’est le nouveau Christ sur la croix ».

Retour sur son histoire : Le 4 mars 1960, le bateau belge « La Couvre », transportant des armes destinées à Cuba explose dans le port de La Havane. L’attentat est attribué à la CIA. Le lendemain, jour des obsèques des 80 défunts, Fidel Castro prononce la célèbre phrase qui restera dans l’histoire : « Patria o muerte. Venceremos » (La patrie ou la mort. Nous vaincrons !). C’est au cours de cette cérémonie qu’Alberto Diaz Gutierrez, dit Alberto Korda, ancien photographe de mode, fera ce cliché qui changera sa destinée. De l’image du Che, Korda dira : « Je n’avais pas vu le Che qui était à l’arrière de la tribune, jusqu’à ce qu’il s’avance pour embrasser du regard la foule amassée sur des kilomètres. J’ai juste eu le temps de prendre une photo horizontale et une verticale, avec un objectif de 90 mm. Puis le Che s’est retiré. Je n’oublierai jamais son regard où se mêlaient la détermination et la souffrance. » Il dit encore : « Je préférais la verticale, mais il y a la tête d’un homme qui dépasse au-dessus de l’épaule du Che. A l’époque il n’y avait pas d’ordinateur pour la corriger ». Réflexion bien naïve quand on connaît les disparitions de personnalités encombrantes sur les photos officielles de l’Union Soviétique. Pourtant les jours suivants ce sont les photos de Castro et de Sartre, présent à la cérémonie, qui paraîtront. Il faudra attendre sept ans et la mort du Che pour que cette image soit publiée par Giangiacomo Feltrinelli, un éditeur militant d’extrême gauche italien. Korda ne touche aucun droit d’auteur mais est fier de servir la cause révolutionnaire. La publicité récupère la photo (Sony, Swatch) et Korda prend alors un avocat. Il utilisera les droits d’auteurs, enfin versés en 1990, pour acheter des médicaments pour les enfants cubains. Korda meurt le 29 mai 2001. Ce n’est pourtant qu’en 2005 que la Haute Cour de Londres lui rend justice dans un procès qui l’opposait à Smirnoff Vodka pour utilisation de cette image à l’insu de son auteur.

Dans les esprits de beaucoup, le nom de Che Guevara reste associé à cette photo. Et cette photo reste associée à l’espoir de révolution de tous les défavorisés d’Amérique latine, voire du monde. Presque quarante ans après la mort du Che, les Cubains ne sont toutefois pas dupes. Si le portrait meuble encore la majorité des intérieurs, c’est davantage par nostalgie que par dévotion pour le pouvoir en place. Nostalgie de l’époque d’une révolution qui a dérivé depuis. Beaucoup sont même convaincus que « le Che n’aurait jamais laissé faire tout ça ».


Illustrations : La photo originale de Korda avant recadrage (haut), Dick Che-ney (bas)

13 septembre 2006

Lit de plage et parasol sur une chaise

Il fallait retourner la photo de la semaine dernière. Et y voir un détail de la construction d'un yacht dans le petit chantier naval artisanal de Thasos. Le tissu sert à protéger les chromes des rambardes et la porte d'accès au bateau est ouverte.
Pour convaincre tout le monde, je donne la vue d'ensemble de la construction du yacht sur laquelle on comprend un peu mieux comment s'agence l'image de la semaine dernière.
Cette semaine trois éléments qui sont liés par leurs fonctions. Un peu plus facile, je pense. On verra bien...



Les énigmes d'une photo célèbre

C’est l’histoire d’une image qui a fait le tout du monde, une image symbole devenue très controversée. On en a même fait un livre entier pour répondre aux suspicions insistantes. Le titre qu’on lui donne en général : Le fusillé souriant. Cette photo va bientôt devenir le symbole de la résistance française. Largement diffusée (à la une du Figaro le 3 juillet 1945, manuels scolaires, magazines) elle étonne. D’autant que jamais la provenance du cliché ne soit mentionnée sur les publications. Malheureusement, on n’a pas réussi à se procurer une image de bonne qualité (preuve qu’on ne trouve pas tout sur le net) mais le condamné, croyez-nous, sourit à l’opérateur.

Là réside l’étrangeté de la scène. De plus, il n’a pas la tête recouverte, contrairement à l’usage et se présente devant un peloton d’au moins seize hommes, ce qui fait beaucoup pour un seul fusillé. Alors on s’interroge, on enquête auprès des amis résistants, on reconnaît les lieux et on finit par identifier le fusillé. Un certain Georges Blind, résistant dans le maquis des Vosges. Le cliché est daté du 14 oct. 1944, la scène se déroule dans les fossés de la caserne Friedrich au château de Belfort. Ce qui attire encore davantage le soupçon : on retrouve Georges Blind le 30 novembre 1944 à Blechhammer, une annexe d’Auschwitz. Il mourra quelques jours plus tard, vraisemblablement empoisonné par les infirmiers du camp alors qu’il avait contracté une maladie infectieuse contagieuse. Il n’est donc pas mort fusillé comme sur la photo.

Ensuite, aucune exécution n’est attestée dans les fossés de ce château. On organise une reconstitution, on fouille le sol. Aucune trace de douille. On interroge les amis résistants et on trouve André Hatier, le confident de Blind. Le «fusillé» aurait vécu, selon son ami, un simulacre d’exécution destiné à le faire craquer en trahissant son réseau.

La diffusion maintenant : Le photographe amateur allemand confie sa bobine à la boutique du photographe, au coin de la rue. Celui-ci , ému, conserve des tirages et son fils les montre à La jeune Alsace qui indique « photographie subtilisée à un soldat allemand par un photographe bisontin ». Et ainsi d’archives de journal en agence photographique (Roger-Viollet) cette image devient une référence sans que personne ne sache rien de précis sur les circonstances de la prise de vue.

Voilà comment on peut mener à bien une enquête policière minutieuse à partir… d’une image.

Voilà comment, sans remettre en question la bonne foi de quiconque, une image célèbre et emblématique devient supercherie lorsqu’on gratte un peu sa surface argentique, pourtant tellement chargée de sens et de vérité.

06 septembre 2006

Détail de bateau en construction

Certains ont trouvé la représentation précédente avec une précision étonnante (Tom) : Des coupes circuits sur la porte d'une armoire électrique. Mini Véga a trouvé la première, sans aide.
Ce sont en effet des fusibles en céramique sur un tableau électrique en métal galvanisé, comme on en trouve dans tous les appartements (ou presque) en Grèce. C'était plus dur pour les Français, ce qui est tout à l'honneur de Tom. Les Grecs sont moins excusables (Marsyas et Kyros) mais ils se rattraperont avec la photo de cette semaine qui doit évoquer quelques souvenirs. Photo brute, encore (quand je trafique, personne ne trouve, et puis, je préfère la "réalité" cf. article précédent)

L'image disparaît sous le coup de la réalité ?

Pour reprendre le discours de Baudrillard cette semaine encore, faire le procès au réel pour son meurtre de l’image, c’est peut-être oublier un peu vite que l’image (photographique du moins) est une représentation apprise par rapport à un réel perceptible. L’œil ne voit pas comme on voit des images, pour lesquelles tous les éléments sont sur le même plan, dans un espace fini, délimité par un cadre, et avec des caractéristiques qui ne sont pas celles de la perception humaine (la netteté, le contraste, la profondeur). Dire que l’image disparaît sous le coup de la réalité, c’est regretter que la perception d’une série de taches de couleur puisse être associée à un objet, un personnage, bref à une scène. Le cinéma n’est possible que parce qu’on établit ce rapport entre l’image et le réel et qu’on a pu apprendre toute une série de codes par rapport au temps (le flash back, par exemple) et à l’espace (un personnage qui entre en scène par la droite sort également par la droite, sinon il va ailleurs mais ne sort pas) sans lesquels un film devient incompréhensible. La notion d’image même suppose une culture, c’est à dire une connaissance du rapport entre la perception (mot qu’on préférera à réalité) de l’individu et l’espace fini bidimensionnel comprenant des plages de densités et de couleurs différentes. Comme il est signalé dans le préambule de ce blog, une femme qui n’a jamais vu de photo ne reconnaît pas son fils sur un cliché, un chien ne reconnaît pas son maître. L’image, quand elle est représentation, ne peut pas faire l’économie de la culture qui lui est propre, c’est à dire des codes qui se sont mis en place au fil des siècles par le biais de la peinture, de la photographie, du cinéma et enfin de la télévision. Sans ces codes, on verse inévitablement dans l’abstraction. L’image n’est plus alors, comme le dit Maurice Denis dans sa célèbre définition, qu’ « un ensemble de formes et de couleurs en un certain ordre assemblées ». Si cette définition peut convenir pour les arts plastiques, elle perd sa pertinence dès qu’il s’agit d’image argentique, vidéo ou encore numérique. Il est illusoire de vouloir séparer l’image de la représentation (même si la peinture s’y est employée depuis le XIXème siècle mais il s’agit là d’une démarche intellectuelle didactique), et cette représentation prend sa source dans ce qu’on connaît, c’est-à-dire la perception, ce qu’on peut aussi appeler « le réel ». Photo Laurent Conan : Ports et chantiers navals de Bretagne.