29 novembre 2006

Peinture sur façade d'immeuble

La couleur rose ne désigne pas toujours une panthère. Il s'agissait là de chiens, de différentes couleurs, affublés de chapeaux dans une vitrine. J'ai choisi le rose par hasard, mais je vous en montre, au bas de la page, un autre de la même vitrine qui n'a rien d'une panthère, reconnaissez-le.
Mystère bien facile cette semaine. L'image m'a semblé intéressante malgré la facilité de sa lecture. Il faut se refaire... peu de bonnes réponses les semaines dernières. Flancheriez-vous en fin d'année ?

La vision des couleurs : leçon de relativité

Grand sujet difficile à traiter car la vision des couleurs n’est jamais absolue. Un exemple : lorsqu’on place un verre filtrant bleu devant l’œil d’un observateur (lunettes de soleil), il verra tout en bleu dans un premier temps. Assez rapidement (quelques minutes) les couleurs reprendront leur place comme si le filtre n’était pas là et l’observateur percevra à nouveau les nuances de couleurs. Cette adaptation humaine ne se retrouve pas dans la photographie et la source lumineuse qui éclaire la scène photographiée est d’une importance cruciale car les films (et les capteurs numériques) sont équilibrés pour des sources bien précises. L’œil ne perçoit pas ces différences d’illuminants. C’est la fameuse WB (white balance, balance des blancs) des appareils numériques qui permet de « caler » l’image en rapport avec la source lumineuse. Pour l’argentique, la correction se fait avec des filtres dont l’usage, assez délicat, se révèle toutefois indispensable.
L’œil fonctionne avec trois canaux, comme un écran, comme une diapositive : bleu, vert, rouge. Le dysfonctionnement d’un des canaux s’appelle daltonisme. Il n’y a donc pas un, mais des daltonismes, selon le canal défaillant. Cette affection est très importante chez la population masculine (8%) et quasi inexistante chez la féminine (0,45%). Un article sera consacré à ce phénomène, avec des tests, la semaine prochaine. On ne sait jamais, vous êtes peut-être un daltonien qui s’ignore ?
Il semblerait que le cerveau tende toujours, naturellement, vers une certaine neutralité des couleurs. Le fameux test de la vision soutenue d’une orange qui provoque ensuite, en fermant les yeux, une sorte de vision négative du fruit bleu (la couleur complémentaire de l’orange) parle de lui même. Comme si une excitation dans une direction colorée entraînait une compensation par une excitation dans la direction opposée, la somme des deux étant la neutralité, le gris. De même les couleurs réputées « allant ensemble » sont, indépendamment des phénomènes de mode, presque toujours des couleurs proches des complémentaires. Sur le croquis, le bleu est complémentaire du jaune, le vert du magenta et le rouge du cyan.
La vision humaine est un mixage bien mystérieux de physiologique et de psychologique, ainsi la mémoire joue un rôle fondamental pour le rétablissement des nuances de couleurs. Personne ne peut dire si l’on voit tous les couleurs de la même façon (laissons les daltoniens de côté). Le fait de nommer une couleur bleue ne signifie en rien que l’on voie tous le même bleu mais que la couleur observée se nomme « bleue » pour nous, ce qui n’est pas du tout similaire. (suite la semaine prochaine)

Illustration : synthèse additive des couleurs

22 novembre 2006

Chien rose coiffé d'un chapeau

La semaine dernière certains (nes) lecteurs (rices) de ce blog possédaient les éléments pour trouver : un porte-bagages bleu de moto, à l'envers, devant un mur tagué de couleurs chatoyantes. Pas évident si j'en crois les réactions. Rien ne s'approchant ou même sur la voie. Alors je compte sur vous cette semaine avec un sujet qui paraîtra plus familier. La bonne réponse devrait arriver assez rapidement, ou alors je ne comprends plus rien à votre perception des images, ce qui reste fort possible...

L'obscénité : tout montrer revient à ne plus rien montrer du tout ?

« La pornographie est ainsi une très bonne métaphore de l’illusion, beaucoup plus générale, de la communication toute-puissante : on y montre tout ce qui est visible, mais du même coup on n’y voit jamais rien, du moins rien de ce qui est essentiel. » Philippe Breton L’utopie de la communication - Ed. La découverte (1997). Edgar Morin dénonce également ces avalanches d’images qu’il qualifie d’obscénité, le mot prend alors un sens nouveau.
Obscène : qui blesse la délicatesse par des représentations grossières de la sexualité (Dict. Robert). « Mais il apparaît clairement que l’obscène, à force de relativité, peut en venir à se banaliser : il ne fait plus peur à personne. » Jocelyn Maixent. De facto, la définition tombe. La blessure s’amoindrit quand elle se répète. Ce mot ne possède aucune étymologie satisfaisante. La plus courante : du latin obscenus (de mauvais augure). Le Robert historique de la langue française nous apprend que l’étymologie du mot est inconnue. Benvéniste remarque que tous les mots latins se rapportant aux présages sont expressément liés au regard. Et pourtant, on qualifie aussi bien d’obscène les romans de Sade ou de Catherine Millet (La vie sexuelle de Catherine M.) On opposait jadis l’obscène à la pudeur, notion on ne peut plus relative, simplement parce que ce qui choquait ne choque plus lorsque la commercialisation qui joue sur l’effet de surprise impose d’en montrer toujours davantage. La limite ne cesse donc de se déplacer. Le Loft télévisuel de M6, destiné à tout montrer de la vie diurne et nocturne de quelques individus enfermés avec la télévision, a souvent été qualifié d’obscène. On peut donc aujourd’hui avancer de nouvelles définitions : l’obscène c’est le « tout montrer ». Pour certains autres : la dislocation entre le corps et l’esprit. Considérer le corps comme un objet (la fameuse « femme objet ») en faisant abstraction de l’esprit de son possesseur.
Mais si la pornographie, et plus généralement l’obscénité, revient à « ne pas voir ce qui est essentiel », il y a lieu de se poser la question : pourquoi le public est-il au rendez-vous pour ne rien voir ? Pourquoi autant de spectateurs pour le Loft de M6 et pourquoi le pornographique fait-il encore recette ?
Selon Baudrillard le « tout montrer » est l’antithèse de la séduction qui doit préserver des domaines secrets, et pourtant les personnages du Loft sont adulés par des centaines de milliers de téléspectateurs. Serait-on en présence d’une aporie de la pensée ? Ou alors d’une dimension qui n’est pas prise en compte ? Celle qui consisterait à dire que le caché a pour vocation d’être découvert. D’autre part que le public, lassé de fictions, demande du concret (même si dans le cas du Loft le réel est un leurre), des personnages qui existent sans jouer de rôle, sans scénario, avec la surprise de l’événement en direct. Tout est filmé et on reste devant son téléviseur pour ne rien rater, avec la hantise de manquer un instant « essentiel », justement, qui finira bien par se produire tôt ou tard. Peu de rapport avec la pornographie qui se contente de montrer ce qui nous a été dissimulé avec la fascination que cela engendre, d’autant que la pornographie est elle-même cachée, protégée de la vue des enfants. C’est la découverte du pot de confiture survalorisé grâce au mystère de la cachette.
Il y a fort à parier que face à une image pornographique, le regard se porte sur les parties sexuelles et sur rien d’autre, et que donc l’obscénité ce serait imposer le sens du visuel, sans laisser de chance à une autre interprétation, annihiler le choix et la part de rêve. Mais alors il faudrait y englober toute la publicité, tout le cinéma idéologique et le Loft n’entrerait pas dans cette catégorie. Il en est même le contraire puisque l’image est de type « caméra de surveillance » qui, par définition, n’impose rien puisqu’elle n’est pas construite.

La notion d’obscénité concerne donc en majorité les images (mais aussi la littérature). Difficile d’en dire davantage. Elle échappe à la pensée cohérente, à l’interprétation. Elle se révèle différente pour chacun de nous, bref elle reste de l’ordre de la sensation relative et les mots paraissent bien handicapés pour la décrire. Jocelyn Maixent remarque : « La vraie obscénité contemporaine est peut-être plus immatérielle et moins saisissable qu’il y paraît, désertant la scène de la représentation pour prendre place dans ses coulisses. » …dans ce qui nous est caché alors ? Retour à la case départ.

Illustration : Le Loft Story américain

15 novembre 2006

Porte-bagages de moto devant un mur tagué


Difficile la semaine dernière. Découragement des internautes. Le problème d'échelle n'a rien déclenché, pourtant il est clair que le cuir cousu est beaucoup trop grand par rapport au spot. En fait, il s'agit d'une photo agrandie (d'un détail de veste en cuir) montée sur un caisson lumineux, lui-même placé dans une vitrine. Je reconnais volontiers que la tâche était rude.
Cette semaine, je précise que les couleurs sont naturelles et qu'aucune intervention n'a été opérée sur cette image. Des couleurs et des reflets qui vous inspireront peut-être...

Les monstres classiques au cinéma

André Bazin, un des fondateurs des Cahiers du Cinéma, déclare : [Au cinéma], les visages les plus monstrueux ne cessent pas d’être à l’image de l’homme.

En s’intéressant aux principaux monstres dans le cinéma fantastique, il est clair qu’ils tiennent invariablement de l’humain dégénéré, qu’ils incarnent le mal, qu’ils sont presque indestructibles, qu’ils triomphent toujours du bien, qu’ils sont toujours en relation étroite avec la mort. Le loup-garou, le vampire, la créature de Frankestein naviguent entre vie et trépas. Ils sont tous trois dotés d’une force surnaturelle incontrôlable (y compris par eux-mêmes) et ont des attributs de perpétuation (il suffit d’être mordu pour devenir monstre soi-même), sauf pour Frankenstein qui souhaite se reproduire sans toutefois y parvenir. Pour tuer un loup-garou il faut le tirer avec une balle en argent (si possible bénite) qui doit rester logée dans le cœur. Pour tuer un vampire, il faut lui ficher un pieu dans le cœur. Il ne vieillit pas, pour autant qu’il réussisse à se régénérer avec le sang de ses victimes et conserve éternellement l’apparence qu’il avait au moment crucial de la morsure. Dans les deux cas le monstre n’a le choix qu’entre sa propre malédiction et la mort. La différence réside dans l’attitude vis-à-vis des victimes qui donne au loup-garou des regrets et au vampire un relatif plaisir. Chaque fois le monstre redoute l’objet religieux sacré (force du bien), utilisé comme seule arme capable de le combattre.

La créature de Frankenstein est, elle, une sorte de résurrection. D’autant qu’elle est le fruit de plusieurs cadavres assemblés, auxquels la foudre (puissance céleste) redonne vie. Mary Shelley, son auteur, écrit à propos du roman : « Le Docteur Darwin et quelques auteurs d’ouvrages de physiologie ont émis l’opinion que le fait sur lequel est fondée cette fiction n’est pas impossible. » L’histoire est, comme presque toujours, celle de la création d’un vie artificielle qui échappe à son créateur (plus récemment Matrix et Terminator). Comme presque toujours, la vie artificielle qui aurait pu s’épanouir dans le bien tourne vers le mal. La créature devient corrompue par le genre humain qui la rejette.

Ces trois histoires, bien que prenant leurs sources à des époques lointaines (Hérodote parle d’hommes se transformant en loups au Vème siècle av. J. C. sur les bords de la Mer Noire, le vampire est attesté chez les Assyriens et les Romains), connaissent une véritable popularité au XIXème siècle avec la publication de romans à succès (Bram Stocker Dracula 1897, Mary Shelley Frankenstein 1817, Erckmann-Chatrian Hughes-le-loup 1859). Le cinéma ne fera que se glisser dans le courant en multipliant les adaptations, jusqu’à les tourner même, plus récemment, en dérision (Mel Brooks Frankenstein Junior 1974, Roman Polanski Le bal des vampires 1967, John Landis Le loup-garou de Londres 1981).

Les récits fantastiques n’arrivent jamais par hasard. Ils marquent d’autant plus l’imaginaire des populations qu’ils sont directement issus d’épisodes meurtriers de l’histoire des peuples. Dracula est inspiré d’un personnage bien réel, le Prince Vlad Dracul (XVème siècle) surnommé « l’empaleur » responsable de plus de cent-cinquante mille supplices. On estime par ailleurs qu’entre les années 1500 et 1700, cent mille personnes furent assimilées à des loups-garous et condamnées à être brûlées vives. Frankenstein arrive, lui, à une époque où la puissance scientifique paraît illimitée et que surgit avec elle la peur du débordement, la crainte de l’emballement de la machine, la hantise de devenir les esclaves de nos expériences à l’éthique discutable. Darwin traumatise la croyance chrétienne, la génétique nous renvoie à nos origines animales.

Le cinéma fantastique, tout comme la littérature, ne parvient que rarement à détacher l’homme de lui-même et de ses obsessions : sa mort, son origine, ses croyances. C’est un lieu commun de dénoncer la part de culture chrétienne dans la fiction. Tous les éléments fondamentaux s’y retrouvent : le péché originel, le paradis céleste, l’enfer souterrain, la lutte inégale du bien contre le mal. Quand tous les effets techniques spéciaux auraient pu ouvrir grand les portes d’un monde nouveau et inconnu, c’est encore, inlassablement, pour s’interroger sur lui-même que l'homme les utilisera.

Une pensée de Charles Tesson pour conclure :

« Ce fantasme… dans la transformation renvoie à une continuité première qui est celle de la transformation des espèces, du passage de l’animal à l’homme, comme si le cinéma prenait très au sérieux, grâce au pouvoir des effets spéciaux, sa vocation à restaurer en continu l’origine de l’homme… à cette différence près qu’on nous passe le film à l’envers . » La transformation à vue 1995
Illustrations : 1- Pablo Picasso Frankenstein

2- Le Prince Vlad Dracul

3- Un des cas les plus célèbres d'hypertrichose congénitale a été Adrian Jerticheff, exhibé à Paris en 1893

08 novembre 2006

Photo agrandie du détail d'un cuir dans la vitrine

Eh oui, comme dit Tom : "trop fastoche" la lingerie féminine. Alors, une fois n'est pas coutume, une seconde photo la même semaine et on monte un peu la barre avec une vue qui me semble assez déroutante (avec toutes les réserves que mon point de vue implique). C'est tout chaud, ça vient de sortir de l'appareil. Là encore problème d'échelle. Ce ne sera peut-être pas si fastoche cette fois...

Comme précisé dans les commentaires, il s'agissait d'un chantier de travaux publics avec le filet vert de protection des passants, ramassé par un vent violent et le haut bleu de la barricade métallique destinée à interdire l'accès à la construction. Et personne n'a trouvé alors cette semaine plus facile (enfin, je ne sais plus trop après les cravates...). C'est à vous de le dire.

L'homme invisible : rêve ou cauchemar

Depuis l’Antiquité ce mythe n’a cessé de tarauder l’homme. Exception faite de la fin du XXème siècle, à l’époque contemporaine, si l’on en juge par la littérature et le cinéma, le procédé n’a pas vieilli et le public reste encore fasciné par « l’homme invisible » en lui accordant toutefois des vertus soit positives, soit négatives, nous verrons dans quelles circonstances.
La semaine dernière, Athéna donnait à Persée un casque qui le rendait invisible, mais le couvre-chef magique est plutôt un attribut d’Hadès (Pluton chez les Romains), cadeau des Cyclopes. Il est en peau de chien et rend invisible quiconque en est coiffé.
L’époque médiévale et moderne avec ses contes ne manque pas de ces philtres qui rendent invisible celui ou celle qui les absorbe. Chaque fois ce subterfuge permet d’accomplir une mission impossible à la vue de tous, chaque fois le héros reprend son apparence visible lorsqu’il le désire et, à notre connaissance, jamais cette magie n’est utilisée pour générer le mal.
C’est à la fin du XIXème siècle que les choses se gâtent. H.G. Wells en est l’instigateur et dans son célèbre roman L’homme invisible, il présente une image de savant fou incapable de faire marche arrière une fois l’expérience réussie après quinze ans de recherche. Wells insiste sur tous les inconvénients que procure l’invisibilité. Il fait de son héros un monstre inadapté, traqué par tous qui finira pour mourir d’un coup de bêche.
Quelques années plus tard paraît le roman de Jules Verne (cinq ans après la mort de l’auteur) Le secret de Wilhelm Storitz qui présente le caractère invisible comme un danger universel. Le secret est aux mains du méchant (Allemand) qui ira même jusqu’à faire disparaître l’héroïne et mourra sans livrer son secret.
A partir de cette époque, le caractère invisible devient permanent, voire accidentel. Il est utilisé souvent comme force du mal et tous ceux qui en sont atteints durablement essaient de s’en débarrasser. C’est une remarque que nous pouvons avancer : un pouvoir est taxé de bénéfique lorsqu’il est volontaire et exceptionnel. Il devient malédiction dès qu’il échappe à celui qui en est affecté. Il le transforme même en monstre pitoyable et parfois dangereux. Tout dépend donc, pour le sujet envoûté, de son libre arbitre.
Le cinéma emboîte le pas dès ses débuts (Méliès en 1903 avec Siva l’invisible) donnant là matière à effets spéciaux destinés souvent au burlesque (Le cycliste invisible, The invisible dog). Ensuite et jusqu’aux années trente, l’invisibilité au cinéma est un attribut aussi bien positif (arrestations de criminels, combat pour la bonne cause) que négatif (détournements, vols), aussi bien comique que dramatique.
En 1933, Universal confie à James Whale l’adaptation du célèbre roman de Wells. C’est un succès considérable qui générera bon nombre de remake, de « retours» et d’imitations. Le héros est entouré de bandelettes qui lui donnent des allures de momie, pour ne pas dire d’inquiétant fantôme.
Après la seconde guerre mondiale, le ton change. Les savants fous dans leurs laboratoires fumants ne font plus recette dans un monde qui a décidé d’exprimer sa gaieté et son optimisme. On dérive du tragique à la farce avec des animaux géants (Harvey de Henry Koster) et l’invisible devient un gag sujet à tous les quiproquos.
La télévision et son recyclage ne pouvait pas manquer un sujet aussi porteur. Elle produit en 1958 une série anglaise à succès The invisible man mettant en scène un savant victime de ses expériences qui cherche à se libérer de ce fardeau mais rejoint le camp des bons en travaillant finalement pour les services secrets. Les séries postérieures, diffusées à partir de 1970, ne trouvèrent jamais leur public. Le thème semble aujourd’hui éculé. Les effets spéciaux sophistiqués et le cinéma numérique ont banalisé l’invisible, sauf peut-être pour un public jeune.

Pourquoi cette fascination pour le « voir sans être vu » ? Les photographes des chambres à soufflets qui se dissimulent sous un tissu noir peuvent être rattachés à ce voyeurisme anonyme. Le rideau, le moucharabieh, le voile, le masque de carnaval, tout ce qui concourt à se rendre invisible tout en voyant l’autre n’est-il pas une façon d’éviter (donc en le redoutant) le jugement de l’autre, tout en se réservant le privilège de juger l’autre soi-même ? Mais il faut pouvoir tirer le rideau, sortir de chez soi, lever le voile, ôter le masque, sinon le rêve tourne au cauchemar… il faut pouvoir se rendre visible quand on le souhaite, éviter ainsi le risque de ne plus exister du tout.

01 novembre 2006

Chantier de travaux publics


C'est la panthère, cette bête qui fascine et qu'on sculpte dans du marbre pour vanter des bijoux. Faire pivoter de 90° vers la gauche et apparaissent les cuisses et les pattes arrière de l'animal, ainsi que la queue en bas à droite. Pas de coude dans l'oeil donc pour Kyros ni de tortues pour Vargas. Une bête fauve dans du marbre. Devant la demande, je donne une photo explicative en nommant les différentes parties du félin.

Cette semaine vous trouverez si vous déterminez l'échelle. Ce n'est pas si évident qu'il y paraît. Et puis, si vous trouvez tout de suite, j'en recolle une autre dans les deux jours qui suivent. A bon entendeur, salut.

Les Gorgones : le regard assassin

Tout est assurément négatif chez ces trois créatures-là. Nées de deux monstrueuses divinités marines grecques elles regroupent trois défauts majeurs pour le monde antique : l’excès sexuel pour Euryalé, la perversion sociale pour Sthéno, et la vanité pour la plus célèbre d’entre elles, celle dont nous parlerons ici, Méduse. Elles sont accompagnées de trois sœurs, les Grées, qui ont la particularité de n’avoir qu’un oeil et une dent à elles trois, qu’elles se partagent comme elles peuvent. La récente apparence horrible de Méduse est le résultat de la vengeance divine d’Athéna voyant dans cette Gorgone une sérieuse concurrente, calamité dangereuse dont les charmes pouvaient envoûter tout homme ou Dieu (Poséidon dont elle fut enceinte) se manifestant dans son champ visuel. Il faut préciser que Méduse est la seule mortelle des trois, que c’est aussi la plus belle, on parle même de beauté surnaturelle, et que cette fratrie habite très loin de tout, vers le royaume des morts. Méduse, comme ses sœurs, a la particularité de transformer en pierre ceux qui tombent sous son regard (ou ceux qui la regardent pour certaines versions).
On ne sait pas très bien si ce pouvoir exceptionnel est l’œuvre d’Athéna afin d’éloigner tout homme qui tenterait de s’en approcher (comme si l’apparence ne suffisait pas) ou si ces trois sœurs naquirent ainsi. De plus, on comprend mal pourquoi les deux autres Gorgones sont aussi repoussantes alors qu’elles ne font l’objet d’aucune vengeance. Les illustrations à travers les siècles rivalisent d’ailleurs d’imagination pour affubler ces pauvres femmes de tout ce qui peut symboliser le mal : visages déformés par des crocs de sanglier, grande langue pendante, cheveux devenus serpents agressifs, mains en métal, regards venimeux.
Toujours est-il qu’Athéna, pour empêcher Méduse d’enfanter, ordonne à Persée de lui trancher la tête. Elle lui accorde son aide en lui offrant un bouclier, si bien poli à l’intérieur qu’il fait office de miroir, des ailes aux pieds et un casque qui le rend invisible. Persée accomplira sa mission après avoir dérobé l’œil des Grées, utilisé le miroir pour éviter le regard pétrifiant et le casque pour filer à l’anglaise. Il met la tête dans un sac pour limiter les dégâts, mais il suffit ensuite qu’il brandisse cette figure coupée (devant Atlas, par exemple) pour que la transformation pétrifiante s’opère encore. On dit aussi que Persée récolta le sang de Méduse et que de la veine gauche coula un poison mortel alors que de la droite coula un remède capable de redonner la vie aux morts.

Nous passerons sur le côté moral de ce mythe (trop de beauté nuit), la séparation du bien et du mal (le sang : poison à gauche et potion miraculeuse à droite), le côté absolu des jugements (beauté surnaturelle ou monstre abominable), l’hérédité du mal et donc des monstres (de sa tête coupée jaillit Pégase), pour s’attacher au côté visuel qui reste fondamental dans ce mythe.
D’abord le regard est assassin mais sans effusion de sang. La pétrification est un doux supplice. On hésite toutefois pour choisir s’il vaut mieux ne pas voir ou ne pas être vu. Les Grecs ont une conscience assez peu précise de la vision et font volontiers cette confusion en oubliant qu’on peut, par exemple, voir sans être vu, ce qui pour l’interprétation du mythe change sensiblement la donne. Soit le sujet est pétrifié et donc puni d’avoir voulu poser son regard sur Méduse, soit Méduse punit tout homme qui entre dans son champ visuel par vengeance d’être devenue laide et donc de ne plus le séduire.
Ensuite, le bouclier ne montre que le reflet de la Gorgone, son image, et ainsi Persée ne subit pas la pétrification. On sépare clairement la vision directe, réelle, et la représentation, même réflective. Le reflet du bouclier a ici valeur de leurre ou de masque filtrant derrière lequel on observerait sans s’impliquer, on examinerait en toute impunité.
Le casque enfin qui permet de se soustraire aux regards, non seulement de Méduse mais aussi des Grées (bien qu’elles n’aient qu’un seul œil que Persée réussira à dérober pour s’enfuir, alors pourquoi le casque ?) exauçant là le vieux rêve de l’homme qui se rendrait invisible quand il le décide mais capable de tout voir, en toute circonstance. Rêve égoïste, remarquons-le, puisque inenvisageable au pluriel, sinon, gare aux carambolages.
Les pouvoirs de Méduse se poursuivent après sa mort. Bien que mortelle la malédiction de son regard perdure une fois sa tête tranchée. La mort n’arrête donc pas le mal qui peut la dépasser et surtout n’arrête pas le regard. Les visions vont donc au-delà du vivant.
Et, pour conclure, que dire des Grées, ces créatures qui se partagent un œil pour trois ? Qu’elles sont liées entre elles par un destin car chacune, à tour de rôle, est l’œil des deux autres ? Que le regard de chacune est parcellaire ? Que l’œil prend une valeur inestimable quand il se fait rare ? Qu’on ne peut voir, même à trois, qu’une seule chose à la fois ? En tout cas que les mythes font preuve de beaucoup d’imagination et que le genre humain raffole d’histoires fantastiques peuplées de créatures qui le dépassent.